Mes chers frères et sœurs !

Je me rends compte que l’une des marqueurs de notre temps est la peur. Nous avons et nous nourrissons plusieurs types de peur, à tort ou à raison d’ailleurs : peur de la guerre dans un monde devenu comme une jungle où règne la loi du plus fort, peur de l’affaiblissement de la communauté internationale et du multilatéralisme. On dirait même que certains médias ont pour mission, quand on les écoute, d’entretenir un climat de peur et d’angoisse, en soulignant à longueur des journées de certaines crises : crise sécuritaire, crise migratoire, crise d’autorité, crise civilisationnelle, crise religieuse, crise de la famille, crise de la dette publique… ! Du coup, cela plombe l’ambiance et suscite la méfiance entre les gens. Le milieu ecclésial n’est pas épargné de cela.

Nous avions en fin d’année beaucoup des réunions de bilan et relecture, et spontanément, on a tendance à commencer par parler des choses qui ne vont pas. La fois passée, quelqu’un a eu l’idée de proposer de commencer la réunion en donnant une bonne nouvelle vécue dans la journée pour nous rendre compte qu’il y avait de belles choses que nous vivons chaque jour. Ca a fait tellement de bien. Mais le Malin nous empêche de voir toutes les belles choses parce qu’il veut nous emprisonner dans ce climat de peur et d’angoisse, avec une certaine nostalgie comme si le passé était meilleur que le présent, ce qui est faut. Et nous, c’est dans ce monde-ci, avec ses angoisses et ses peurs que le Seigneur nous envoie en mission comme disciples et pèlerins de l’Espérance.

L’évangile de ce dimanche présente l’envoi en mission des 72 des disciples. Jésus ne se contente pas de prier pour la conversion du monde qui va à sa perte mais veut que ses disciples soient acteurs de la conversion du monde. Il ne se lamente pas de la mauvaise direction que prend l’histoire ou les événements, mais il agit en envoyant des disciples crédibles proposer un changement de vie et une orientation nouvelle à l’histoire. C’est à nous, disciples d’hier, d’aujourd’hui et demain qu’il appartient d’orienter l’histoire au lieu de subir les événements de l’histoire. Le monde a besoin d’ouvriers et d’artisans qui construisent un monde conforme à la volonté divine, le prélude du Royaume ici et maintenant. Le monde a besoin des disciples qui brêlent du feu de Dieu et qui le répandent autour d’eux, disciples crédibles aux yeux du monde parce qu’ils vivent de la joie de l’évangile et du feu de Dieu avant de le proposer aux autres.

Jésus nous envoie et nous prévient que ce n’est pas facile. Parler de Jésus peut être un exercice compliqué, même au sein de l’Eglise. Les disciples sont envoyés deux par deux, en binôme, précédant le Seigneur qui passera après eux. Leur mission n’est de convaincre ni de convertir les gens, mais d’annoncer. C’est Jésus lui-même qui, passant après les disciples, va convertir les cœurs. « Le Seigneur en désigna encore 72, et il les envoya deux par deux, en avant de lui, en toute ville et localité où lui-même allait se rendre. » Ceci m’a fzit penser à la petite Bernadette de Lourdes qui avait dit à l’abbé Peryamale : « la Dame m’a chargée de vous le dire et non pas de vous convaincre ! »

Nous avons seulement la mission de préparer la route au Seigneur. Nous sommes envoyés deux par deux et pas seul. Cela veut dire que l’annonce de l’évangile n’est pas une attitude charismatique d’un guru autocentré. La mission porte toujours la dimension ecclésiale d’une communauté qui se construit en équipe malgré les difficultés. Le père François Chaubet parle parfois des prêtres ou fidèles pins parasol qui font bien les choses, mais tout seul, faisant de l’ombre aux autres et qui ne font rien pousser autour d’eux. Attention à la tentation d’atttirer toute l’attention sur nous, de chercher à briller plus que les autres, au risque d’offusquer le Christ, notre Lumière. En mission, nous sommes appelés à travailler avec et à compter sur le soutien des autres.

Jésus demande aux disciples de prier, non pas pour convaincre Dieu d’envoyer des ouvriers à sa moisson. Dieu en est convaincu plus que nous. La mission est fécondée par la prière pour confier sans cesse au Seigneur ce que nous faisons et lui demander toujours si ce que nous faisons est conforme à sa volonté. Tout part de Jésus et tout revient à lui. La prière nous permet de faire double mouvement pour ne pas entrer dans un activisme ou un fonctionnalisme pastoral coupé du Maître de la moisson.

Jésus met en garde les disciples : « Allez ! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. » Jésus sait qu’il nous envoie dans un monde qui sera parfois très dur envers vous. C’est un conseil pour nous ! A force de travailler dans un monde dur, avec des méthodes pas du tout évangéliques, nous risquons de nous endurcir plus que les loups qui nous entourent et de copier leurs méthodes. Nous avons tous la mission, chacun à notre niveau, de protéger l’Eglise pour qu’elle ne devienne pas une société des loups ou les gens se mangent mutuellement, et s’épuisent dans des querelles et des combats qui, en fin de compte, tuent la mission au lieu de la faire grandir.

Jésus demande d’apporter la paix et d’être instrument de paix en évitant de créer et chercher les conflits, en suscitant des tensions. On ne peut pas porter Dieu aux autres par la force ni l’arrogance spirituelle. Ces méthodes ont été utilisées jadis et ont fait beaucoup du mal à l’Eglise. La mission se fait humblement, simplement afin que la conversion soit vraiment une rencontre et une adhésion personnelle au Christ.

Enfin, Jésus nous demande de rester, de demeurer et de partager. « Restez dans cette maison, mangeant et buvant ce que l’on vous sert ». Le disciple, le pasteur n’est pas différent de ceux auxquels il est envoyé. Il nous faut prendre pleinement place et partager la vie des personnes auxquelles nous annonçons le Christ. On parle souvent de la solitude des prêtres, ce qui est une réalité, mais n’est-ce pas aussi parfois le résultat des pasteurs qui, pour différentes raisons se tiennent à l’écart et qui ne tissent pas des liens simplement humains avec les fidèles. Comme le rappelle le concile Vatican II en d’autres termes, l’Eglise, les pasteurs, les disciples ne peuvent rester étrangers ni indifférents aux joies, aux espérances, aux peines, aux angoisses, aux doutes du monde. C’est en demeurant avec les gens et en partagent la vie des gens que nous pouvons prendre conscience de leurs joies pour rendre grâce et de leurs peines pour les réconforter.

Un autre point souligné par Jésus est que la mission sera parfois éprouvante et crucifiante ! Saint Paul le rappelle aussi dans la deuxième lecture : « Pour moi, que la croix de notre Seigneur Jésus Christ reste ma seule fierté. Par elle, le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde. » Saint Paul réalise lui-même la limite propre de son caractère dans la mission. Il rappelle que dans la mission, le plus important ne sont pas les règles, les rubriques et les préceptes (comme la circoncision) mais c’est de chercher à devenir des créatures nouvelles. C’est la finalité du baptême. Malheureusement, les disciples sont parfois identifiés et perçus comme les garants et défenseurs de la règle et des préceptes au lieu d’aider les fidèles à devenir des créatures nouvelles dans le Christ.

Au lieu d’enfermer dans les règles, garder les autres prisonniers des préceptes, notre mission est de rendre libres, de libérer les cœurs pour qu’ils s’ouvrent au Seigneur. C’est cette libération des cœurs et leur ouverture au Christ qui fonde la joie des disciples, comme cela est souligné dans la finale de cet évangile : « Les 72 disciples revinrent tout joyeux, en disant : « Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom. »  Jésus leur dit : « Je regardais Satan tomber du ciel comme l’éclair. Voici que je vous ai donné le pouvoir d’écraser serpents et scorpions, et sur toute la puissance de l’Ennemi : absolument rien ne pourra vous nuire. Toutefois, ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux. » Seigneur, donne-nous de nous réjouir de ton œuvre dans les cœurs de ceux qui t’ont rencontré. Amen.