Chers frères et sœurs, dans l’Évangile que nous avons proclamé le Seigneur nous enseigne le sens et la valeur des richesses.
Les richesses servent avant tout à nous mettre en relation les uns avec les autres. Et surtout elles servent dans ces relations à nous apercevoir que nous sommes égaux, que nous sommes semblables.
Nous nous apercevons de la façon la plus concrète, la plus incontournable, que nous sommes les mêmes. Nous avons les mêmes nécessités, les mêmes désirs dans une très large mesure, et aussi de ce fait les mêmes peurs, les mêmes inquiétudes.
Quand cet économe s’aperçoit qu’il va perdre sa gérance et qu’il va se retrouver sans ressources il a peur. Il a peur de la même peur que nous avons tous, nous retrouver à faire un travail qui soit au-delà de nos forces, ou bien nous retrouver à devoir mendier pour survivre.
Et en même temps qu’il s’aperçoit de sa propre détresse, il s’aperçoit aussi que les débiteurs de son maître sont dans la même détresse que lui. Eux aussi ils sont menacés de ruine, s’ils ne peuvent pas payer leurs dettes on va leur prélever leurs biens les plus essentiels, leur maison ou leur champ. Il s’aperçoit de sa communauté de nature et de sort avec eux.
Les richesses sont là pour cela, pour nous mettre en relation les uns avec les autres, nous découvrir semblables, nous rapprocher.
Même le patron de cet homme qui jusque-là le voyait comme un serviteur, une personne distante de lui, très différente, à présent s’aperçoit lui aussi qu’ils sont pareils. Dans l’Antiquité il y avait peu de protection légale pour les biens donc on se protégeait avec un réseau de clientèle c’est-à-dire des sortes d’obligés avec qui on échangeait des faveurs et qui nous protégeaient. C’est ce que l’économe fait aussi à présent, il échange des faveurs contre des faveurs pour assurer sa position et son avenir – alors le patron se reconnait en lui.
Ce n’est pas la question de savoir si c’est bien moralement, mais ce que dit la parabole c’est que les richesses nous permettent d’entrer en relation et nous reconnaitre semblables les uns aux autres…
Chers frères et sœurs dans cet Évangile le Seigneur nous enseigne à ne pas mépriser les richesses de ce monde. Les richesses sont bonnes profondément et ont une influence positive sur nous. Ce ne sont pas les richesses qui sont mauvaises en elles-mêmes mais comment nous les regardons et ce que nous en faisons.
Les richesses sont bonnes en elles-mêmes et elles sont même une préfiguration des biens du monde futur. D’une façon mystérieuse mais réelle les biens de ce monde préfigurent les biens du monde à venir. Je ne sais pas vous dire quels sont les biens du monde futur, mais je sais dans l’Évangile et dans le Seigneur que le Seigneur ne détruit rien, il ne détruit pas le monde présent pour construire le monde futur. Il recrée, il transforme et transfigure, mais ne détruit rien.
Les biens de ce monde préfigurent le monde futur à plus forte raison si nous les partageons. Quand nous partageons les biens de ce monde nous réalisons une ébauche du royaume de notre Seigneur.
Le Seigneur insiste pour nous enseigner à ne pas mépriser les biens de ce monde – c’est la conclusion de son enseignement. Ce n’est pas normal du tout de haïr les richesses de ce monde, c’est le signe d’un désordre très grave. Il dit que ceux qui ont deux maitres, Dieu et l’argent, aiment l’un et haïssent l’autre – c’est très surprenant, on s’attendrait à ce qu’il dise qu’ils aiment les deux et sont divisés… Non il dit quelque chose de plus fort et de plus profond, ils ont deux maitres, antagonistes, donc il y a une si forte contradiction en eux qu’ils vont résoudre le problème en aimant l’un et en haïssant l’autre.
Par exemple un religieux – je prends l’exemple d’un religieux parce que c’est plus frappant – il se promène pieds nus, il refuse de se chauffer l’hiver, il ne prend pas de médicaments quand il est malade – il aime Dieu et il déteste les richesses… Et puis vous le retrouvez 10 ans après en possession de plusieurs comptes en banque cachés à droite à gauche. Est-ce que quelque chose a changé dans sa vie, dans son cœur ? pas véritablement, il a toujours été profondément divisé et désordonné dans ses affections.
Vous connaissez peut-être la parole de saint François quand il dit Mon Dieu et mon tout, il appelle Dieu son tout, tout ce qu’il possède.
Cela ne signifie pas que saint François dit à Dieu Tu me suffis et je méprise tout le reste – parce qu’alors saint François serait devenu un être asocial et violent. Cela signifie au contraire qu’il aime tout en Dieu, qu’il reconnait le don de Dieu dans chaque bien, dans chaque richesse, qu’il aime Dieu bien entendu au-delà de tout, tout comme aussi il aime chaque chose sans exception en Dieu.
Le Seigneur aime le monde et l’embrasse – il suffit de regarder sa croix – il l’embrasse pour le sauver. Il nous enseigne nous aussi à aimer le monde, à l’embrasser, à lui porter l’amour qui vient de Dieu, la justice, la paix, la miséricorde dont il a tant besoin pour exister et se réaliser.