Mes chers frères et sœurs !
Depuis quelques dimanches, nous sommes accompagnés par Simon, fils de Yonas qui a reçu de Jésus, depuis une semaine, un nouveau nom : celui de Pierre. Nous l’avons vu perdre confiance et douter lors de l’épisode de la tempête apaisée et la marche de Jésus sur la mer. Dimanche dernier, Simon Pierre s’est montré le porte-parole des croyants lors de la profession de Foi à Césarée de Philippe quand il a reconnu que Jésus est le Messie, le Fils du Dieu vivant. Aujourd’hui, l’évangile nous fait découvrir un autre regard de Simon Pierre sur le messie. Pour Simon Pierre, comme pour les Juifs, le messie devait être un homme fort, glorieux, identifié au nouveau grand roi, avec la mission de restaurer la gloire d’Israël en le libérant de la domination Romaine.
Dans cet évangile, c’est Jésus lui-même qui nous explique ce que veut dire pour lui être le messie et en quoi consiste sa mission : « Jésus commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait partir pour Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué, et le troisième jour ressusciter…. Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive ». Être messie signifie : pas de gloire, pas de pouvoir, pas de compromis ou de compromission ! Un choix radical que Jésus assume, disposé à mourir en donnant sa vie sur la croix.
Ces explications ne sont pas du goût des disciples qui sont atterrés. Il y a encore une heure, sur le long du chemin, les disciples faisaient une sorte de mini-sommet pour savoir qui parmi eux était le plus grand, comment ils allaient s’organiser au niveau politique, qui devait occuper le poste le plus important, se mettre à gauche ou à droite de Jésus. Jésus avait mis fin à la discussion en donnant le poste de Matignon à Simon Pierre lors de la profession de foi à Césarée de Philippe. Tous les calculs étant faits, les accords signés, gouvernement révolutionnaire de combat était presque à pied d’œuvre ! Mais retournement de situation : maintenant, Jésus leur parle de douleur, de souffrance et de mort. Ça ne va plus du tout !
Ça m’a fait penser aux coups d’Etat comme on en voit depuis plusieurs mois dans certains pays d’ancienne influence française en Afrique, comme la Guinée, le Mali, le Burkina et récemment le Gabon : Ali Bongo qui organise des élections qu’il gagne évidemment haut les mains avec 62% : tous ses acolytes font la fête et s’imaginer régner encore pendant très longtemps alors que la famille est au pouvoir depuis 55 ans, et oups, des militaires qui mettent fin au régime par un coup d’Etat… C’est la désillusion. Les disciples qui écoutent Jésus dans cet évangile sont abasourdis et pensent que le messie a perdu le nord et il faut dans l’urgence faire quelque chose pour sauver le régime en place en danger.
C’est encore Simon Pierre qui intervient et prend les choses en main ! Il appelle Jésus à part pour l’interpeler et lui faire une petite leçon de politique : « Ecoute Rabbi, tu dois changer de langage et ta manière de parler aux troupes, aux adhérents. En politique, la communication est importante. Il faut la soigner. Ce que tu viens de dire a brouillé le message et démotive les troupes qui risquent de démissionner un par un. Tu vas te retrouver tout seul avec une telle manière de communiquer ». J’essaye de reformuler et actualiser le message de Pierre. Parfois, nous aussi, nous nous comportons comme Simon Pierre : nous faisons la leçon à Dieu en lui disant que faire, quand le faire, comment le faire, comment le dire, comment gérer…. Jésus ne se laisse pas faire : il recadre Pierre et le remet à sa place de disciple et l’appelle à se convertir : « passe derrière moi, Satan ! Tu es pour moi une occasion de chute : tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »
Parfois, nous aussi, au lieu de nous mettre derrière le Seigneur pour le suivre, comme disciples, nous nous mettons devant lui pour que ce soit lui qui nous suive dans nos désirs et décisions, notre volonté. Au lieu de dire, comme dans le Notre Père « Que ta volonté soit faite ! », nous disons « que ma volonté soit faite ! ». Au lieu de suivre le chemin que Dieu nous trace, nous voulons lui indiquer le chemin qu’il doit suivre. Nous lui suggérons les solutions à nos problèmes, au lieu de lui faire confiance. Nous prétendons ainsi que c’est à Dieu de devenir notre disciple. Nous nous fâchons contre Dieu parce qu’Il n’a pas réalisé ce que nous désirions avoir. C’est le problème du prophète Jérémie, dans la première lecture. Il se plaint et se lamente contre Dieu parce qu’il l’oblige à suivre un chemin qu’il ne voulait pas personnellement. « Seigneur tu m’as séduit, et je me suis laissé séduire, tu m’as maîtrisé, tu as été le plus fort ».
Jérémie voulait être le prophète annonçant que de bonnes nouvelles. Mais Dieu a voulu faire de lui un prophète parfois casse-pied, détesté de tous, même de sa famille parce qu’il doit appeler à la conversion et annoncer parfois de mauvaises nouvelles. Jérémie n’en peut plus et veut tout laisser tomber. Mais, grâce à la prière, le prophète Jérémie comprend qu’il doit revenir à la source de sa vocation. Il s’est rappelé l’Amour de ce Dieu qui l’avait séduit et à qui il n’a pas pu résister. Il comprend qu’il doit poursuivre sa mission, et cette fois, selon la méthode de Dieu.
Après avoir remis Pierre à sa place, Jésus précise ce qu’il attend des disciples, de nous. Il ne nous fait pas de la démagogie, de la publicité mensongère, du marketing professionnel comme un chasseur de têtes ou un RH qui veut séduire son candidat en nous disant : « Vous allez voir, c’est super ! Ce poste est vraiment fait pour vous. Vous allez vous éclater professionnellement car votre mission est passionnante, dans cette entreprise à la pointe. Vous aurez des primes chaque année, une augmentation de salaire selon vos performances annuels, des vacances payées par le CE…». Non, Jésus ne promet pas la facilité à ses disciples et sa proposition d’embauche est lourde à assumer. Il nous rappelle qu’être son disciple se résume en trois impératifs : « renoncer à soi-même », « porter la croix » et « le suivre».
Le disciple doit renoncer à la tentation de vouloir être toujours le centre de l’univers, renoncer à cette tentation de vouloir les meilleures places pour être vu. Le chrétien est convaincu d’être unique, spécial, précieux, aux yeux de Dieu et n’a plus besoin de se battre pour le démontrer ou le prouver aux autres. Nous sommes chacun infiniment précieux aux yeux de Dieu. Au lieu de se battre pour le pouvoir en écrasant les autres, un chrétien est appelé à prendre à cœur le bonheur de ceux qui sont autour de lui, en donnant sa vie pour les autres, comme Jésus l’a fait pour nous. Suivre Jésus, c’est risquer sa vie par amour pour les autres !
Toi aussi au lieu de chercher la gloire à tout prix, prends ta croix car la croix est la mesure de l’amour. Si tu n’es pas encore capable de souffrir pour ton conjoint, tes enfants, tes parents, ta communauté, ton pays…. Cela veut dire que tu ne les aimes pas encore vraiment assez.
Cet amour fou qui se donne jusqu’au bout, Dieu nous dit que nous pouvons le vivre avec lui dans nos maisons, nos vies familiales, professionnelles, nos missions ecclésiales et associatives parfois ingrates. Cet évangile exigeant écouté en cette rentrée est un envoi en mission. Il nous rappelle que, dans tout ce qu’au cours de cette année, nous serons, ferons, vivrons, chercherons dans cette nouvelle année pastorale que nous commençons, nous n’avons rien d’autre à faire qu’être simplement à la suite du Christ, lui laisser la première place, donner notre vie en nous mettant au service les uns des autres ! Amen.