Mes chers frères et sœurs !
La parabole de ce dimanche se situe dans la dernière partie du discours eschatologique de Jésus dans l’évangile selon saint Matthieu. C’est le chapitre 25 qui nous parle de la venue de Jésus et du jugement dernier. Cette parabole parle d’un mariage, comme cela se déroulait dans la Palestine au premier siècle ap. J-C. L’époux allait à la maison de l’épouse, la prenait avec lui et l’amenait définitivement dans sa propre maison. Les jeunes filles restaient à la maison de l’époux pour accueillir le couple avec des lampes allumées. Mais ce récit parle d’un mariage un peu étrange, avec des situations bizarres ! Pourquoi l’époux arrive en pleine nuit ? Ensuite, on ne parle pas de l’épouse (chez nous ce sont les épouses qui arrivent souvent en retard le jour du mariage… maquillage et habillement obligent !) qui n’est jamais mentionnée ! C’est peut-être encore le côté macho de culture sémitique ! A quoi sert d’aller acheter de l’huile en pleine nuit quand les commerces sont fermés ? Bref, il y a quelques détails qui ne cadrent pas.
Cette parabole ne parle pas d’un mariage quelconque. C’est le mariage, dont l’Epoux est le Christ lui-même et l’Epouse est l’humanité en chemin et tout particulièrement les baptisés qui marchent à la rencontre du Christ. C’est l’invitation du rite du baptême lors de la remise de la lumière : « c’est à vous, parents, parrain et marraine que cette lumière est confiée. Veillez à l’entretenir pour que le nouveau baptisé, illuminé par le Christ avance et grandisse en enfant de lumière. Ainsi, quand le Christ paraîtra, il pourra aller à sa rencontre dans son royaume, avec tous les saints du ciel. Amen ».
Revenons à ce fameux mariage avec 10 filles qui sont armées seulement d’un peu de lumière mais en pleine nuit. Ces filles sont réparties en deux groupes : « cinq étaient prévoyantes : les insouciantes avaient pris leur lampe sans emporter d’huile, tandis que les prévoyantes avaient pris, avec leurs lampes, des flacons d’huile » Cette répartition en deux groupes me fait penser aussi aux deux groupes d’une autre parabole : ceux qui construisent leur maison sur le roc et ceux qui la construisent sur du sable et qui doivent affronter les intempéries ! Jésus aurait pu nous faciliter les choses en parlant de 10 femmes, 5 vierges et 5 prostituées par exemple. Mais Jésus insiste sur le fait que toutes les 10 filles sont vierges ! Ce qui les différencie n’est pas la virginité mais bien la sagesse (prévoyance) et l’insouciance (folie, la stupidité, selon les versions).
Les insouciantes sont considérées comme telles parce qu’elles n’ont pas prévu la possibilité que l’époux puisse être en retard en emportant assez d’huile en réserve. Ce n’est pas la vigilance, la capacité à rester éveillé qui distingue les deux groupes mais la capacité à penser l’imprévu, à penser le futur. L’évangile souligne « Comme l’époux tardait, elles s’assoupirent toutes et s’endormirent. » La sagesse est la capacité à prévoir ce qui pourrait arriver, prévenir. C’est la sagesse de la Fourmi qui travaille tout l’été pendant que la Cigale chante, puis, quand arrive l’hiver, l’affaire se complique, dans la fable de Lafontaine. Le contraste dans la parabole est sur la réserve d’huile. Toutes ces filles sont endormies quand arrivent l’époux.
Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ! Jésus sait que nous sommes tous faibles, comment notre quotidien peut être pénible et rude pour chacun de nous. Il sait combien notre bonne volonté, notre enthousiasme se confronte à la dure réalité de la vie quotidienne. Il se peut que notre foi s’assoupisse aussi, qu’il y ait des périodes de fatigue et de découragement spirituel, physique et moral dans notre vie. Jésus sait que nous ne pouvons pas toujours être au top, et il voit que nous ne sommes pas toujours au top ! Même le pape n’est pas toujours au top ! La semaine dernière, au cours d’une rencontre avec les rabbins d’Europe, le pape François a avoué être fatigué, il n’était pas au top et n’a pas pu finir la lecture de son discours. Tout ça est normal et Jésus le sait bien. Parfois la vie nous éprouve et nous sommes épuisés, lessivés comme ces filles qui s’endorment et s’assoupissent toutes, sans exception.
L’enseignement de cette parabole est le rappel d’une autre exigence de la vie chrétienne : quelle quantité d’amour avons-nous à mettre dans nos lampes au quotidien ? Combien d’amour avons-nous pour pouvoir rallumer la fatigue et éviter que le sommeil ne devienne chronique ? Ça me fait penser à ma petite sœur : je la vois, épuisée à la fin de la journée, des cernes sur le visage, mais quand elle arrive, il faut gérer les trois enfants (et même le mari parfois) et je me demande où elle tire cette énergie ! Mais cette énergie, cette huile s’appelle l’amour. C’est la petite voie de sainte Thérèse de Lisieux : l’amour rend grande chacune de nos actions. Je pense aussi à ma propre mère ! J’ai été élevé par une mère (seule, veuve, ayant perdu son mari très jeune) quand j’avais 12 ans ! C’est une veuve qui a élevé 7 enfants. Je l’ai vu très souvent fatiguée, épuisée, nous l’avons parfois tournée en bourrique mais elle n’a jamais baissé les bras ! Je me suis toujours demandé comment elle faisait pour rester debout…? La réponse : l’amour pour ses enfants boostait sa vie et lui redonnait la force d’une lionne alors que nous la croyions vraiment lessivée et épuisée de tout !
Alors, toi aussi, mon frère, ma sœur ! Si tu n’as pas fait ta réserve d’huile, ta réserve d’amour, tu as beaucoup de mal à sortir de cette épreuve conjugale, familiale, personnelle, professionnelle qui t’écrase. Cette réserve d’amour consiste en un travail quotidien sur soi, sur notre propre cœur, notre propre temps et se joue dans le soin que nous mettons dans les petites choses du quotidien. Ces vierges qui n’ont pas prévu d’huile, saint Matthieu les appellent folles, stupides, indifférentes, sans intelligence ! Comment pensaient-elles allumer des lampes sans huile ? C’est évident qu’une lampe sans huile ne s’allume pas. Les vierges folles ou insouciantes, ce sont les personnes qui vivent à la journée, sans se soucier de l’avenir, de la vie éternelle. Vivre sans huile, c’est vivre au quotidien, sans regarder autour de soi ni penser à demain. C’est être sans amour et ne faire du bien à personne. Dans un autre passage d’évangile de saint Matthieu, Jésus nous dit : « De même, que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux. » Nos œuvres bonnes et pleines d’amour sont une lumière ! L’amour concret donné pendant notre vie terrestre est une réserve d’huile quand viendra l’obscurité de la mort.
Personne ne peut aimer à notre place. Réveillées du sommeil à l’annonce de l’arrivée de l’époux, les 10 vierges préparent leurs lampes. Les insouciantes se rendent compte qu’elles n’ont pas assez d’huile, en demandent aux sages qui refusent sèchement : cela n’est pas possible ni raisonnable. Ce refus est un appel à la responsabilité. Personne ne peut aimer à ma place. L’expérience de l’amour est personnelle et nous met seul responsable devant Dieu et devant les autres. Ne soyons pas inquiets de nous endormir mais soyons inquiets du peu d’amour que nous avons dans notre cœur ! Sages et insouciants, nous vivons tous des épreuves et nous pouvons nous endormir ! Cependant, chacun de nous naît avec un cœur capable d’aimer et personne ne pourra aimer à notre place. Personne d’autre n’aimera mes paroissiens à ma place, n’aimera ton enfant à ta place ! Ton amour est unique, libre et irremplaçable.
Nous cheminons vers la fin de l’année liturgique qui nous appelle à penser à la parousie, la venue de Jésus dans la gloire « quand il viendra juger les vivants et les morts ». Le chapitre 25 de saint Matthieu nous rappelle, à travers différentes paraboles, que le Seigneur jugera chacun sur l’amour : symbolisé dans l’huile pour allumer la lampe dans la parabole des 10 vierges, l’amour que Dieu nous a donné à faire fructifier dans la parabole des talents et l’amour concret envers nos frères et sœurs qui ont faim ou soif, qui sont nus ou malades dans la parabole du Jugement dernier.
Mais, la bonne nouvelle de ce dimanche, c’est que Dieu nous a tous donné un cœur capable d’aimer, et nous sommes tous libres, d’aimer ou de ne pas aimer, nous sommes responsables de nos actions ici et maintenant. La vie éternelle en dépend. Ouvrons nos cœurs au Seigneur pour qu’il les remplisse de son Amour afin de nous rendre capable de l’aimer et d’aimer nos frères et sœurs. Amen.