Chers frères et sœurs
Je ne sais pas si vous vous en rappelez, mais le jour de la Nativité, c’est-à-dire le 25 décembre au cours de la messe, l’évangile qui est proposé est le « Prologue de l’évangile selon Jean », c’est-à-dire les premiers versets même si les exégètes précisent unanimement que cette partie a été ajoutée plus tard après la rédaction du reste de l’évangile. Saint Jean commence par le récit de Jean le Baptiste au bord du Jourdain et ses disciples le quittent pour suivre Jésus. « Alors Jean rendit ce témoignage : « J’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe et il demeura sur lui. Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : “Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, celui-là baptise dans l’Esprit Saint. Moi, j’ai vu, et je rends témoignage : c’est lui le Fils de Dieu. » Le lendemain encore, Jean se trouvait là avec deux de ses disciples. Posant son regard sur Jésus qui allait et venait, il dit : « Voici l’Agneau de Dieu. » Les deux disciples entendirent ce qu’il disait, et ils suivirent Jésus. Se retournant, Jésus vit qu’ils le suivaient, et leur dit : « Que cherchez-vous ? » Ils lui répondirent : « Rabbi – ce qui veut dire : Maître –, où demeures-tu ? » (Jn1,32-38 »
Que cherchez-vous dans votre vie ? C’est la question des toutes les questions que nous pose Jésus ? Saint Jean, le disciple bien-aimé qui resta au pieds de la croix, celui qui posait sa tête sur le cœur de Jésus au cours de la dernière Cène, nous conduit à travers son évangile pour répondre à cette question qui trouve sa réponse lors de la dernière Cène, celle-ci anticipant ce qui se passe le vendredi et au matin de Pâques. La chose la plus importante que nous cherchons tous dans notre vie, c’est l’amour qui comble notre cœur. Saint Jean nous rappelle qu’au cœur de la Cène, il y a le témoignage de l’Amour infini de Jésus pour nous. « Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. » Jésus nous a aimé jusqu’au bout et aucun amour, en dehors du sien, ne peut combler notre cœur de manière définitive. Mais il faut y croire et se laisser faire par lui, le laisser nous aimer comme il veut. Jésus est le mendiant qui nous supplie de lui ouvrir notre cœur afin de le remplir e son Amour.
Comme nous le savons, l’amour n’est pas de la théorie, un concept, des paroles. Chacun de nous est en quête de cet amour qui se donne à nous, un amour qui se concrétise dans des gestes, et pas que nous pouvons déclamer à longueur des journées mais qui se volatilise lorsque l’épreuve se présente. Saint Jean nous dit : « Voici comment nous avons reconnu l’amour : lui, Jésus, a donné sa vie pour nous. Nous aussi, nous devons donner notre vie pour nos frères. Celui qui a de quoi vivre en ce monde, s’il voit son frère dans le besoin sans faire preuve de compassion, comment l’amour de Dieu pourrait-il demeurer en lui ? Petits enfants, n’aimons pas en paroles ni par des discours, mais par des actes et en vérité. » (1Jn 3, 16-18). Koffi Olomide, un chanteur congolais dit que l’amour n’existe pas, et qu’il n’y a que des preuves d’amour. Et nous nous savons que Jésus nous a dit qu’il nous aime par ses paroles, mais il nous le montre aussi par les gestes concrets de sa vie qui trouvent leur point culminant dans le mystère pascal qui commence lors de la dernière Cène.
Imaginons un le scénario de la dernière Cène. Les apôtres sont arrivés au cénacle après une journée de marche où ils ont sillonné la ville de Jérusalem où ils sont venus célébrer la Pâques juive. « Arriva le jour des pains sans levain, où il fallait immoler l’agneau pascal. Jésus envoya Pierre et Jean, en leur disant : « Allez faire les préparatifs pour que nous mangions la Pâque. » Ils lui dirent : « Où veux-tu que nous fassions les préparatifs ? » Jésus leur répondit : « Voici : quand vous entrerez en ville, un homme portant une cruche d’eau viendra à votre rencontre ; suivez-le dans la maison où il pénétrera. Vous direz au propriétaire de la maison : “Le maître te fait dire : Où est la salle où je pourrai manger la Pâque avec mes disciples ?” Cet homme vous indiquera, à l’étage, une grande pièce aménagée. Faites-y les préparatifs. » (Lc 23, 7-12)
Le soir venu, Jésus réunit tous ses disciples sans exception. Jésus réunissait souvent ses disciples pour qu’ils se reposent après des journées de mission. Mais ce soir, il y autre chose. Ces galiléens sont heureux d’être à Jérusalem comme des provinciaux heureux d’être à Paris, et qui se retrouvent après avoir visité la cathédrale Notre-Dame nouvellement reconstruite. Mais la joie laisse bientôt place à l’étonnement quand Jésus enfile un tablier, une bassine d’eau pour laver les pieds de ses disciples, un geste inattendu. Le messie qu’ils ont annoncé toute la journée dans les rues et sur les places publiques de Jérusalem, le voici à genou pour laver les pieds des disciples. Il y a aussi Juda Iscarioth, le traitre. Etait-il embarrassé sachant le coup qu’il avait déjà préparé contre Jésus ? Un exégète dit que le geste du lavement des pieds a conforté Judas dans son projet parce qu’en fait, devant lui, lavant ses pieds, s’est présenté quelqu’un qui voulait vivre, non pas comme le Maître mais comme une esclave. « Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous ? Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. »
Je pense à l’embarras des disciples en présentant leurs pieds sales et qui sentaient mauvais. Un, deux, quatre, vingt, vingt-quatre… Tous les pieds sont lavés, un à un. Simon Pierre a voulu résister mais Jésus l’invite à se laisser faire. Tu ne sauras pas aimer les autres si tu ne me laisser pas t’aimer en premier. Tu ne sauras pas rendre service aux autres si tu ne laisses pas Dieu se mettre à ton service. C’est seulement après avoir fait l’expérience de l’amour véritable que tu pourras en témoigner. Nous ne pouvons véritablement témoigner que de ce que nous avons réellement vécu, et nous ne pouvons pas donner de l’amour que si nous en avons reçu un peu dans notre cœur. Nous ne pouvons accepter la fragilité des autres, leurs pieds sales et qui sentent mauvais que si nous avons accepté en premier que Jésus touche à nos propres fragilités et nos pieds sales. Sinon, nous restons sans pitié envers les autres.
Saint Jean ne nous explique pas l’institution de l’eucharistie, mais nous offre le cadre dans lequel cette dernière nous est donnée par le Christ : trahisons et service forment le cadre de la dernière Cène. L’eucharistie est manifestation l’abondance de l’amour que Dieu déverse sur nous qui malgré nos trahisons comme Judas et devient ainsi le moteur qui nous pousse à aller à la rencontre de nos frères et sœurs. Chaque fois que nous célébrons l’eucharistie, nous sommes plongés dans l’Amour et appelés à aimer à notre tour concrètement dans le quotidien. C’est pour cela que le concile Vatican II appelle l’eucharistie la source et le sommet de la vie chrétienne, source où nous nous abreuvons, sommet où nous portons nos vies fatiguées par le quotidien où nous n’avons cessé de nous donner les uns aux autres.
Ce soir demandons au Seigneur une grâce : celle de vaincre la dimension routinière de l’eucharistie ! Chaque eucharistie, chaque messe est un don sublime qui nous fait revivre le mystère pascal du Christ. Que le Seigneur nous nous rende capables de vivre chaque eucharistie avec émerveillement en nous plongeant dans cette nouveauté surprenante de l’intimité avec un Dieu fait homme par amour pour nous et qui nous a aimés jusqu’au bout.