Mes chers frères et sœurs !
Au chaîne de Mambré, Abraham a reçu la visite de Yahvé. A Bethanie, Marthe et Marie, les sœurs de Lazare reçurent Jésus dans leur maison. Et nous alors, pourquoi Dieu ne nous rend-t-il plus visite aujourd’hui ? Oui, bien sûr que Dieu nous rend visite plus souvent qu’on s’imagine mais sans nous en rendre compte. Nous refusons de l’accueillir parce que nos cœurs sont fermés ou parce que nous ne savons plus le reconnaitre.
C’est l’histoire d’une famille très catho de la paroisse qui, au cours de la prière familiale du soir, reçoit de Jésus la promesse de lui rendre visite. Le jour et l’heure sont bien fixés. A la date prévue, toute la famille s’est bien endimanchée, mettant chacun son plus bel habit. Le ménage a été bien fait, les enfants ont bien rangé chacun sa chambre pas une seule petite poussière sur les meubles ! La famille a sorti la vaisselle des jours de fêtes et au menu, une grande cuisine. L’arrivée de Jésus est prévue vers 19h00, l’heure habituelle de l’apéro. Vers 18h30 quelqu’un sonne ! La maîtresse de maison se précipite pour ouvrir ! Mais, déception ! C’est un SDF, étranger de surcroit, qui dont le passage risque de gêner le visiteur de marque attendu par la famille. La maitresse de maison lui file vite fait une pièce de 2 euros, le suppliant de déguerpir et de ne pas trainer dans la rue. Le SDF remercie et s’en va sans se faire supplier.
Jésus semble être en retard. Il a peut-être oublié de noter la date sur son agenda. La famille attend en vain jusque tard dans la nuit. Déçue et résignée, ils dînent sans le visiteur attendu. Avant de se coucher, comme chaque soir, toute la famille se rassemble pour la prière ! Au cours de la prière, la maîtresse de maison prend son courage en main en avouant la déception pour cette visite promise mais pas honorée. Jésus ne cache pas son étonnement et rappelle à la maîtresse son arrivée à 18h30. « Mais non, c’était un clochard qui a sonné ! Nous lui avons même donné deux euros pour qu’il s’achète un sandwich ! » Et Jésus leur dit : oui, j’étais ce clochard.
Dans le diocèse de Bukavu, nous avons eu la chance d’avoir un archevêque qui a marqué par sa simplicité de vie. Il n’était jamais en soutane, très rarement en clergyman et ne soignait guère son habillement et ni son aspect extérieur. Plusieurs fois on l’a confondu avec le veilleur de nuit (la sentinelle) à cause de son habillement (son long manteau pas toujours propre !) et son apparence. Lors de ses visites surprises aux communautés et paroisses, il s’est fait refouler par les veilleurs de nuits ou les cuisiniers à cause de son habillement. Mgr Christophe Muzihirwa a été assassiné par les Rwandais en octobre 1996 et son procès en béatification est en cours !
Dieu nous rend souvent visite mais nous ne l’accueillons pas, parce que nous avons du mal à le reconnaitre surtout en période d’épreuve. Dans la première lecture, Abraham nous apprend à ne pas laisser nos épreuves fermer notre cœur au Seigneur qui nous visite. Dieu lui avait promis une descendance, mais dix longues années sont passées, et le fils promis n’était toujours pas arrivé. Alors, Abraham est assis, résigné, à l’ombre du chêne de Mambré, accepte quand même d’accueillir le Seigneur et cela sera source de nouvelle bénédiction pour lui.
Les textes de ce dimanche nous rappellent l’importance de l’hospitalité. Être chrétien, c’est prendre conscience que Dieu est présent dans notre vie, qu’il nous rend visite à travers les hommes et les femmes que nous côtoyons. Dieu nous visite et nous parle à travers nos frères et soeurs. Le Seigneur nous invite ainsi à être attentifs, à l’écoute et à prendre soin les uns des autres. Comme Abraham qui accueille avec joie ces trois personnages que la tradition identifie avec les trois personnes de la sainte Trinité, accueillons, nous aussi le Christ dans notre maison, nos familles. Ouvrir notre cœur, notre maison, en particulier aux étrangers et aux pauvres, c’est accueillir le Seigneur : « J’étais un étranger, vous m’avez accueilli, j’avais faim, vous m’avez habillé, j’avais faim, vous m’avez donné à manger… Chaque fois que vous l’avez fait à l’un des plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ! » dit Jésus dans l’évangile selon saint Mt. Par notre hospitalité, nous accueillons le Christ comme Marie et Marthe de Béthanie.
L’évangile nous fait contempler Jésus accueilli chez ses amis, dans une famille, une maison où Jésus « devient en quelque sorte un homme normal » : loin des foules, des apôtres, des scribes et pharisiens, où personne ne le surveille et où il peut être naturel ! Cet accueil à Béthanie me fait penser parfois à ces familles où un prêtre est accueilli, invité ou à l’improviste, quelle que soit l’heure, pour se poser, en short, bermuda, décontracté en chemise hawaï, pour prendre un café, une bière, un verre de vin, manger simplement, rire, même pleurer ou craquer sans avoir honte d’être un homme normal, discuter de tout et de rien librement, sans se prendre la tête, sans être interrogé sur la dernière crise théologico-pastorale, le dernier scandale dans l’Eglise, la dernière nomination polémique dans le diocèse, la récente élection controversée de la présidente des SGDF …Bref, toutes ces maisons où le prêtre peut prendre un petit bol d’air frais, amical et fraternel sans prise de tête…A Béthanie, Jésus oublie les tensions et les intrigues de Jérusalem. Il peut parler librement, se sent vraiment accueilli, met de côté ses fonctions de rabbi, oubliant les accusations de Jérusalem pour, pendant une soirée, retrouver le plaisir simple et profond de l’amitié et de la complicité.
Jésus veut que nous ayons ce même type de relation simple avec lui et que nous ayons les mêmes relations simples entre nous. Parfois nos relations familiales, amicales, professionnelles et ecclésiales sont compliquées. Nous avons du mal à aller simplement les uns vers les autres. Nous nous posons mille questions avant de dire bonjour, de lancer une invitation au voisin, à cette personne avec qui nous sommes dans le même groupe, mouvement, service ! Tout devient compliqué alors que le vrai bonheur se fait dans la simplicité et sans prise de tête.
Ecoute et activité, contemplation et action est un autre enseignement de la visite de Jésus chez Marthe et Marie à Béthanie. Marie écoute le Seigneur, assise à ses pieds, tandis que Marthe se charge de la logistique pour un meilleur accueil. Ces deux sœurs représentent deux dimensions de la vie intérieure que nous avons tendance à opposer, alors qu’elles se complètent et s’enrichissent mutuellement : la prière et l’action. La prière nous envoie forcement à agir et notre action, pour être féconde, doit trouver sa source et sa force dans la prière. C’est la devise donnée par saint Benoit aux moines dans sa Règne « Ora et labora » (prière et travail). Dans un monastère ou abbaye, la vie est rythmée par la prière et le travail.
Marie représente la nécessité d’écouter la Parole de Dieu et de s’en abreuver au quotidien. Dans nos vies tellement mouvementées et stressantes, offrons-nous de pauses spirituelles pour écouter et parler au Seigneur. Quant à Marthe, elle réalise la béatitude de l’hospitalité, d’un amour qui se fait concret. L’écoute de la Parole de Dieu est importante, mais si la prière ne change pas concrètement notre vie, elle reste stérile. Par son action, Marthe nourrit le Christ que Marie adore. Une prière réellement authentique débouche sur le service des frères. Si notre charité, notre activité, notre apostolat ne trouvent pas leur source et leur accomplissement dans la prière, ils deviennent stériles et asséchants.
Accueillir Jésus dans nos maison, c’est prendre le temps de prier en famille, lire simplement l’évangile du jour, réciter simplement un Pater, un Ave Maria ensemble, regarder un film sur la foi, choisir de temps en temps de parler de Dieu en famille… Puisse l’exemple d’Abraham, Marthe et Marie inspirer nos rencontres en cette période d’été où nous avons la chance d’accueillir ou de rendre visite aux familles et aux amis, afin que nos rencontres emplies de joie et de simplicité renforcent en profondeurs nos relations. Amen