Mes chers frères et sœurs !
La Parole de Dieu, l’Eglise et la liturgie nous rappellent que le Carême est un temps de désert et de solitude. Cette année, cela tombe très mal car nous en avons tous un peu marre de la solitude, de cette solitude imposée par la Covid19 depuis plus et d’autres solitudes négatives. La solitude de nos personnes âgées dans leurs maisons de retraite ou leur appartement, des malades dans leurs lits d’hôpital, solitude d’être coupé de ses collègues de boulot à cause du confinement ou du télétravail, solitude pesante de tous ces jeunes étudiants qui dépriment parce que coupés socialement, obligés à suivre les cours derrière un écran… et toute cette solitude qui était déjà, avant le Covid19 la grande pauvreté de nos sociétés occidentales. Cette solitude-là est négative, pesante et mortifère. Nous aimerions tellement en être libérés.
Cependant, il y a un autre désert, une solitude positive. Quand nous nous retrouvons, pour l’avoir choisi, voulu et désiré, tout seul, en silence, loin de la foule, des bruits, de nos portables et tablettes. Ce désert intérieur positif nous permet de nous poser et méditer, prier et réfléchir, dans un monastère, une église, dans la nature ou dans notre maison. Cette solitude-là est une occasion favorable pour regarder notre vie en vérité, nous interroger sur qui nous sommes, sur le sens de notre vie, de notre profession, sur notre vocation dans le monde et dans l’histoire de l’humanité. Elle nous permet aussi d’écouter Dieu, de lui poser des questions, de le laisser se révéler à nous, de découvrir quelle place Dieu a réellement dans notre vie.
J’espère que pendant ce temps de Carême, chacun de nous prendra un peu de temps de solitude, de désert pour se poser certaines questions essentielles. Quelle est place dans l’histoire ? Suis-je un petit détail de rien du tout, une présence inutile, perdu au milieu de plus de plus 7 milliards d’individus « hyperconnectés », mais parfois déconnectés des uns des autres sur notre planète…? Quelle valeur peut avoir ma petite vie personnelle quand je me rends compte qu’elle dépend des décisions politiques et économiques qui me dépassent. J’ai pris personnellement conscience que je ne suis pas indispensable, que je peux disparaitre à tout moment, tomber malade, choper ce fichu virus, sans que cela affecte la marche normale du monde et de l’histoire….
Dans sa solitude et son désert, Abraham a trouvé sa vocation en découvrant, comme nous l’avons entendu dans la première lecture, que Dieu est l’Absolu à qui il doit tout sacrifier, fut-ce notre enfant unique Isaac. Pour nous aujourd’hui, l’idée même de sacrifier notre enfant à Dieu est abominable, mais tous les peuples voisins d’Israël, païens et polythéistes, faisaient des sacrifices humains pour faire plaisir à leurs dieux. Abraham pense aussi la même chose de son Dieu mais il se trompe car notre Dieu n’est semblable aux dieux païens. Dieu nous dit dans la première lecture qu’il n’a pas besoin de sacrifier notre vie, qu’il a horreur des sacrifices humains. Au lieu de sacrifier notre vie, Dieu sacrifie sa propre vie pour sauver la nôtre. C’est un sévère avertissement pour nous : le Dieu d’Abraham déteste ceux qui tuent, et plus encore ceux qui tuent en son nom. Aujourd’hui encore, il y en a qui pensent que Dieu nous demande des sacrifices insupportables. Nous nous trompons. C’est important de le souligner au cœur du carême : le Seigneur Jésus n’a pas plaisir et n’a pas besoin de nos sacrifices ! Comme nous le dit le psalmiste, le sacrifice qui plait à Dieu est un esprit brisé, un cœur contrit, conscient de ses péchés pour accepter d’être sauvé par Dieu.
Comme Abraham qui se trompait sur l’identité de Dieu, les apôtres prétendaient aussi connaître Jésus, mais ils se trompaient sur qui il était vraiment ! Pour eux, avant la transfiguration, Jésus était celui qui faisait des miracles, nourrissait les foules, enseignait avec autorité, faisait marcher les boiteux, purifiait les lépreux…. bref, un Jésus que nous aimons bien parce qu’il répond présent à nos appels, il comble nos désirs et nos demandes, mais un Jésus dont on peut facilement se passer quand on a rien à lui demander, comme on oublie un ballet dans un placard jusqu’à ce que vienne le jour du ménage….Nous pouvons être disciples depuis toujours, suivre Jésus comme, prêtres, religieuses, laïcs engagés dans l’Eglise…sans connaitre le vraiment. Ce dimanche, Jésus nous invite à monter avec lui sur le Tabor, pour entendre son Père nous révéler son identité profonde.
Sur le mont Tabor, les disciples contemplent la beauté de Jésus, entouré de Moïse et Elie, c’est-à-dire, la Loi et les prophètes autour de lui, et la voix du Père révélant son identité : il est le Messie : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le ! » Pierre veut construire trois tentes mais, Elie et Moïse ont disparu. Jésus demande à ses disciples de quitter la montagne de la transfiguration car il doit monter sur une autre montagne qui se présenter devant Lui.
Cette nouvelle montagne s’appelle le Calvaire ou Golgota, couverte des pierres que les Romains utilisaient pour crucifier les condamnés à mort. Avec Pierre, Jacques et Jean, nous réalisons que dans la vie chrétienne, il n’y a pas de Tabor sans le Golgota, et inversement, il n’y a pas de Golgota sans Tabor. Dans la vie, la joie, la beauté, le bonheur demandent à un peu de travail, des efforts, des sacrifices. De même, toute douleur, toute souffrance portée avec amour comme Jésus au Calvaire conduit à la vraie lumière de la Résurrection, car le récit de la transfiguration anticipe la gloire de la résurrection ! Jésus transfigure et donne sens à nos vies, Il les rend belles et éclatantes même quand elles paraissent comme des petits détails inutiles aux yeux du monde. Pour cela, nous devons choisir parfois la solitude et le silence du Tabor avec Jésus pour voir ces transfigurations quotidiennes, (parfois tellement simples) qu’il nous donne de contempler, de gouter dans nos vies, tellement petites mais combien merveilleuses et belles aux ses yeux de Dieu, même si parfois nos vies sont lourdes, douloureuses et éprouvantes comme au Calvaire.
Seul le Fils Bien-Aimé du Père nous redit que chacun de nous est un enfant bien-aimé du Père quand nous nous s’enracinons dans son Cœur transpercé, quand nous écoutons sa Parole, comme nous y invite le Père : « celui-ci est min fils bien-aimé, écoutez-le !). Jésus nous révèle notre vocation et notre identité profonde, nous indique ce à quoi le Père nous appelle personnellement au milieu de ces milliards d’êtres humains vivant sur cette planète qui a besoin d’être sauvegardée. Pour Jésus, ma petite vie n’est pas un détail, un point perdu de l’histoire du monde. Grâce et par son Fils Unique Jésus, le Père appelle chacun de nous par son prénom et me dit que je suis unique à ses yeux, que j’ai une valeur infinie pour lui ! Dans et par le baptême, chacun de nous devient le préféré, l’enfant bien-aimé du Père.
Cette conscience d’être infiniment aimé de Dieu, quoiqu’il arrive, nous guérit de l’angoisse existentielle et de la tentation de penser que notre vie ne vaut rien ! Pour le Seigneur, personne ne pourra prendre ma place, car je suis irremplaçable et unique à ses yeux. Cela veut dire que je dois prendre ma vie au sérieux et l’enraciner dans le Cœur Sacré de Jésus. Lorsque Jésus est au centre de notre vie, quand nous sommes présents à Lui, parce que Lui est toujours présent à nous, alors nous découvrirons que nos vies, sont belles ont de la valeur et que la vie est tellement belle malgré nos fragilités, nos failles et nos calvaires.
Disciples du Christ transfiguré sur le Tabor, à la suite de Pierre, Jacques et Jean, le temps du carême nous invite à vivre en beauté les relations qui nous unissent en nous appuyant sur Jésus qui veut nous transfigurer chaque jour. Témoignons, en toute simplicité mais en vérité que Jésus comble et donne sens à notre vie. Alors, comme le dit Emmanuel Mounier, ce grand philosophe chrétien et Français, nous vivrons un tragique optimisme : tragique parce que le temps sont difficiles et que notre vie est parfois éprouvante ( c’est le cas de le dire avec ce que nous vivons depuis un an !), mais toujours optimistes parce que nous savons fermement que Jésus est la beauté, le Visage du Père et qu’Il rend belle chacune de nos vies, parce qu’Il nous a aimés jusqu’au bout, en donnant totalement sa vie afin qu’elle transfigure et resplendisse dans celle de chacun de nous. Amen.