Mes chers frères et sœurs

L’évangile du dimanche de la Divine miséricorde (II dimanche de Pâques) nous fait contempler un apôtre qui est devenu une sorte de caricature dans le langage : l’apôtre saint Thomas. J’aimerais pourtant que chacun de nous le prenne comme le patron dans notre cheminement spirituel. En contemplant cette figure de l’apôtre saint Thomas, nous le voyons d’abord avant la mort de Jésus, dans un évangile que nous avons écouté pendant le temps de carême : C’était le 5è dimanche de carême, lors de l’épisode de la mort Lazare quand Jésus va à Béthanie à un moment de grande tension. Les chefs des prêtres, les pharisiens, les scribes commençaient à chercher Jésus pour le condamner à mort et que c’était dangereux pour Jésus d’aller à Béthanie, dans une région où il était déjà recherché. Mais son ami Lazare étant malade, Jésus décide quand même d’aller le voir, même s’il va arriver après sa mort. Lorsqu’il a pris cette décision, contre l’avis de ses disciples qui étaient inquiets, c’est l’apôtre Thomas qui dit aux autres disciples, à la surprise de tous, dans Jean 11, 16 : « Allons-nous aussi mourir avec lui ». Tous les autres disciples avaient très peur, et Simon Pierre en particulier essayait de dissuader Jésus et le prévenir pour ne pas trop s’exposer.

C’est la première fois que Thomas parle dans l’évangile et sa proposition avait alors fait rire tous les autres disciples qui le prenaient, comme dit familièrement, à un fayot qui voulait juste se faire remarquer de Jésus. La deuxième fois que nous entendons parler saint Thomas, c’est quand il expose ses doutes et son questionnement à Jésus qui était en train de leur laisser son testament spirituel dans le chapitre 14 de l’évangile de Jean. Il leur parlait de son départ vers et Père : « Quand je serai parti vous préparer une place, je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi, afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi.  Pour aller où je vais, vous savez le chemin. » Thomas lui dit : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment pourrions-nous savoir le chemin ? » Jésus lui répond : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ; personne ne va vers le Père sans passer par moi.  Puisque vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père. » (Jn 14, 3-7). Thomas nous avait alors obtenu du Christ cette grande révélation comme étant le Chemin, la Vérité et la Vie.

Cependant, toute cette foi de Thomas, et des autres apôtres s’est presque complétement écroulé avec l’arrestation, la condamnation et la mort de Jésus en croix. La nuit du vendredi saint, l’apôtre Thomas l’a passée en cachette. Il laisse tourner en boucle dans sa tête le visage défiguré de Jésus, son corps dénudé, ensanglanté et suspendu sur la croix avec cette foule qui crachait sur lui, et l’insultait. Il était resté pendant quelques heures au milieu de cette foule de curieux avant de s’évader à cause de la peur d’être reconnu comme l’un des disciples de Jésus de Nazareth.  Encore maintenant qu’il est bien caché, Thomas a toujours peur. Mais une grande colère s’est ajoutée à sa peur. Colère contre ceux qui ont condamné Jésus. Mais aussi colère contre lui-même et contre les autres disciples.  L’apôtre Thomas s’en veut terriblement et se dit : « Je suis vraiment nul, un vrai lâche, un traitre. Il y a un temps que je voulais et j’étais prêt à mourir avec lui, mais je l’ai abandonné. Il est mort tout seul, abandonné sans que j’essaye de le sauver à cause de la peur ! ».

Thomas est tout seul dans sa cachette mais il pense aussi aux autres. Pierre, Jean, Judas ! Où peuvent-ils être en ce moment. Où se cachent-ils ?  Une idée lui vient en tête. Sont-ils dans la salle où nous avons fêté la Pâques avant la mort de Jésus, quand il nous a lavé les pieds ?  Après le sabbat, tout le monde a repris le travail. Mais Thomas attend la nuit tombée pour aller chercher les autres dans la maison de la dernière Cène. Il marche à pas légers, faisant attention, longeant les murs, pour ne pas être vu par quelqu’un. Quand il arrive devant la porte, il frappe, circonspect. Un grand silence. Pas de réponse. Puis il frappe de nouveau. Et là une petite voix timide demande : « qui est là ? », « c’est Thomas, s’il vous plait ouvrez-moi ! » et la porte s’ouvre  doucement, sans faire du bruit.

Thomas est étonné ! Des visages radieux. C’est bizarre ! Ils sont euphoriques. Comme de concert, Philippe, Jacques et Jean lui disent : « Thomas, nous avons vu le Seigneur ! Il est vivant ! Oui, il est même apparu à Cléophas et Zacharie sur le chemin d’Emmüs !  Simon Pierre l’a vu aussi ! » Tous essayent de se jeter dans les bras de Thomas mais ce dernier les repousse, interloqué : « Arrêtez vos conneries et vos blagues de mauvais goût !  Toi André, toi Simon, toi Jacques ! Vous n’avez même pas honte de me raconter des salades. Où étiez-vous quand il est mort ? On devait mourir avec lui, mais nous l’avons tous abandonné ! Et maintenant, c’est vous me racontez qu’il est vivant ! Non, impossible ! Si je ne le vois pas, je ne croirais pas ! Voilà tout, et laissez-moi tranquille ! ».

 Tout d’un coup, les visages des autres deviennent sombres, Thomas ne veut parler à personne, il se met dans un coin, il boude et il ne croit pas un seul instant à leur message de résurrection. Et pourtant Thomas choisit de rester avec eux, il reste dans l’équipe, ne quitte pas la communauté, il ne claque pas la porte pour fonder une Eglise alternative, une secte, un nouveau mouvement, une équipe rivale. Et c’est là le grand mérite de Thomas : rester dans l’Eglise, demeurer au sein de l’équipe même quand il a un grand doute, un désaccord profond et important avec les autres membres. C’est une grande leçon pour nous quand nous avons des désaccords et tension avec les gens que nous aimons, dans nos familles, nos groupes, au sein de la communauté. Dans ces cas de figure, nous sommes toujours tentés de partir, claquer la porte…. Devant certaines blessures que nous subissons dans familles, dans l’Eglise, nous pouvons être tentés de quitter… mais saint Thomas nous apprends qu’il faut rester et essayer, de soigner de l’intérieur. Quitter l’Eglise n’est jamais une décision qui l’aider à devenir meilleure ! C’est en restant au sein de l’Eglise, au sein de la famille qu’on arrive à voir de quoi elle souffre pour la réparer. Chez nous on dit qu’un ne peut voir où sont les fuites sur le toit de la maison qu’en y restant, et c’est en restant dans la maison qu’on a aussi envie de la réparer sans trop attendre ! C’est ce que nous apprend saint Thomas en restant avec les autres apôtres même s’il est en désaccord avec eux sur le message de la résurrection.

L’attitude de Thomas est récompensée huit jours plus tard. Le voici, Jésus Ressuscité, rayonnant, serein. Il  sourit de nouveau à ses disciples ! Il les réconforte : « La paix soit avec vous ! ». Tous sourient et vibrent de joie. Thomas est choqué. Il a encore plus honte de lui-même mais c’est Jésus qui lui montre sa miséricorde. Il ne tient pas compte de son manque de foi ni de ses doutes, mais il s’avance vers Thomas en lui disant : « Thomas, je sais que tu as beaucoup souffert. Moi aussi, j’ai beaucoup souffert ! Regarde mes mains, voix mon côté, touche mes plaies, et sois guéri de tes doutes et de ton manque de foi ». Ces gestes miséricordieux du Ressuscité guérissent Thomas immédiatement. Sa honte, sa colère, sa peur, ses doutes disparaissent comme la neige qui fond au contact de la chaleur du soleil du printemps après l’hiver. Thomas se jette aux pieds du Maître et devient le premier des adorateurs en confessant, comme nous devant le Saint Sacrement : « Mon Seigneur et mon Dieu ! »

Saint Thomas devient ainsi notre modèle, grand-frère ceux qui adorent le Christ, ceux qui croient en lui au-delà des obstacles et des doutes. Saint Thomas soutient tous ceux qui, à un moment de leur vie, font l’expérience du doute dans leur vie de foi.  Saint Thomas nous aide à ne pas nous laisser écraser par la douleur et la colère, en particulier quand nous n’avons refusé de faire confiance aux autres. Il est le patron de ceux qui sont scandalisés et blessés par une Eglise parfois incohérente et blessante par ses jugements, ses agissements et ses fragilités, mais qui décident de ne pas quitter cette l’Eglise mais de la soigner de l’intérieur. Saint Thomas nous aide à dépasser les fragilités de l’Eglise, de nos paroisses, pour ne contempler que le Visage resplendissant du Ressuscité, même s’Il porte encore les marques des clous dans mains percés et des blessures dans son cœur transpercé.

En ce dimanche de la Divine Miséricorde, demandons au Seigneur de poser sur chacun de nous, sur l’Eglise, sur nos familles, notre communauté, sur nos équipes le même regard qu’il posa sur saint Thomas pour nous guérir de nos doutes, afin que nous devenions ensemble, et malgré nos fragilités, les témoins du Ressuscité dans ce monde qui en a tellement besoin. Amen.