Mes chers frères et sœurs !
Il y a 20 ans, j’étais encore étudiant séminariste à Rome, il y avait, sur la Rai (la télévision publique italienne) une série qui faisait le plein d’audimat, un succès fou, même dans les communautés religieuses. Il ne fallait louper aucun épisode. Cette série s’appelait Don Matteo avec comme acteur principal Terence Hill qui jouait le rôle d’un curé très populaire. Dans la série, le prêtre Don Matteo jouait à l’enquêteur dans certaines affaires criminelles, des enquêtes menées en même temps que la Polizia ou les Carabinieri (la gendarmerie italienne). Don Matteo exploitait des informations qu’une taupe dans la Police lui fournissait en secret. Grâce à cela, Don Matteo arrivait à résoudre des cas compliqués, en poussant le coupable dans ses retranchements jusqu’au point d’avouer son crime commis. Mais ce qui était plus beau encore, c’est que Don Matteo avait aussi cette capacité à trouver une voie de sortie au mal, au criminel en lui faisant faire l’expérience de la pénitence et du pardon de Dieu au-delà de la justice humaine qui devait poursuivre son cours normal. Cela veut dire que, la justice de Dieu n’efface pas nos crimes et délits devant la justice humaine. Le père Jean-Marie Hary me disait que souvent, dans l’aumônerie de prison, il faut faire attention car certains criminels peuvent penser que leur crime est effacé automatiquement parce qu’ils se sont confessés devant un prêtre. Ce que faisait Don Matteo est en quelque sorte thème principal de la liturgie de la Parole de Dieu de ce dimanche, c’est-à-dire : la correction fraternelle.
Disons de prime abord que la correction fraternelle est un art d’amour très difficile. Elle est une très haute manifestation de la charité fraternelle. Cependant, nous devons faire très attention et éviter toute confusion dans cette matière importante. D’abord, la correction fraternelle n’est possible que quand, dans une communauté donnée, chacun est accueilli en premier lieu de manière inconditionnelle avec ses limites et ses fragilités, là où l’on est pas jugé ni enfermé dans ses erreurs passées ou présentes. La charité, l’amour est le préalable incontournable d’une correction fraternelle. Dans la deuxième lecture, saint Paul rappelle ce principe important de la vie ecclésiale : « Frères, n’ayez de dette envers personne, sauf celle de l’amour mutuel, car celui qui aime les autres a pleinement accompli la Loi. »
Aussi, la correction fraternelle dont on parle ici est celle qui concerne les péchés graves, comme Jésus le dit lui-même dans les textes qui précèdent celui que nous avons écouté : « Celui qui est un scandale, une occasion de chute, pour un seul de ces petits qui croient en moi, il est préférable pour lui qu’on lui accroche au cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu’il soit englouti en pleine mer. » ( Mt 18, 6). L’objet de la correction fraternelle n’est pas une offense personnelle. Une offense personnelle est à pardonner sans calcul et à oublier. C’est ce que Jésus dit dans la suite de l’évangile de ce dimanche : « Alors Pierre s’approcha de Jésus pour lui demander : « Seigneur, lorsque mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner ? Jusqu’à sept fois ? » Jésus lui répondit : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois. » (Mt 18, 21). Ca, nous allons le méditer dimanche lors de la messe de rentrée paroissiale.
L’objet de la correction fraternelle est le péché, dans la mesure où ce dernier nuit à la personne qui le commet. La finalité de cette démarche est de regagner la sœur ou le frère pécheur à lui-même et à la vie fraternelle. Il nous faut tout tenter, tout essayer pour ramener à la maison, à la raison, à la communion fraternelle celui qui se perd. Avant de se lancer dans l’exercice de la correction fraternelle, il est très important de regarder nos motivations profondes, ce qui nous pousse à aller faire des reproches à notre prochain. Suis-je motivé par l’amour envers celui qui se perd, en faisant le mal à soi-même et aux autres, en détruisant la vie fraternelle ou alors, suis-je motivé par le désir d’une justice purement humaine avec mes jugements personnels et ces critiques qui n’ont d’autre but que de rabaisser, blesser, mépriser ou humilier l’autre.
Pour y arriver, Jésus nous montre le process. Voici le protocole fondamental à suivre pour un meilleur exercice de la correction fraternelle.
D’abord, on aborde la personne d’égal à égal, en privé, par respect pour lui. On n’alerte pas les autres d’abord en disant, « vous allez voir, moi je vais aller le voir pour lui dire ses 4 vérités » ! Je suis étonné de voir, à travers des gens qui viennent me parler, de telle personne du service ! Quelqu’un était venu me parler d’un confrère qui le blessait par un certain côté. Je lui ai dit : « as-tu osé aller le voir pour en discuter, peut-être même autour d’un café ? » La personne a joué le jeu et leurs relations se sont apaisées. On ne balance pas quelqu’un, on ne fait pas de la délation en pensant ainsi faire la correction fraternelle. Non, la correction fraternelle commence en privé, dans l’intimité, dans le secret. Celui qui se sent accueilli sans condition, pas jugé, ni humilié est généralement disposé à recevoir des observations négatives.
Cependant, étant donné que la nature humaine est parfois compliquée, si la première approche n’a pas marché, Jésus suggère de recourir à la médiation de 2 ou 3 témoins. Une rencontre en petit comité. C’est une tentative d’amener l’autre à la vérité grâce à l’aide des autres. Pourquoi ? Parce qu’on peut aller, plein de bonne volonté, faire une correction fraternelle tout en étant maladroit soi-même, ne pas savoir comment s’y prendre au point de blesser la personne que nous voulons ramener à la raison. Ainsi, Jésus nous suggère de nous faire aider par les autres. Là où une personne ne réussit pas, peut-être à cause des limites personnelles, il se peut qu’on y arrive grâce au soutien de deux ou trois personnes. Mais je rappelle que ces deux ou trois autres doivent être motivés par l’amour et non par un esprit de vengeance.
Quand les deux premières tentatives n’ont pas marché, Jésus nous suggère une troisième voie : l’aide de toute la communauté. Attention ! Il ne s’agit pas de jeter l’autre en pâture. Hier comme aujourd’hui, des graves blessures et des humiliations sont provoquées à cause des confusions autour de cette troisième étape, prise à la lettre. Aujourd’hui encore, certains groupes, mouvements ou même confessions poussent la personne à avouer publiquement son péché. Vous êtes dans un groupe de prière, et vous devez dire devant tout le monde (confession publique !) tout péché que vous avez commis. Rendez-vous compte de l’humiliation que cela peut être, et des dégâts et traumatismes que cela peut produire dans la vie de quelqu’un. La correction fraternelle ne doit pas être une humiliation, mais une manière de montrer au frère que nous nous soucions de son salut, de sa conversion, par amour pour lui et pour le bien de toute la communauté ecclésiale.
Mais, nous devons aller plus loin dans la correction fraternelle et ne pas la limiter dans une sphère purement ecclésiale. Ce sont toutes nos relations amicales, familiales, professionnelles qui doivent être caractérisé par cet amour qui se manifeste dans la correction fraternelle.
Un adage sage dit que « si tu n’as pas un ami qui t’alerte sur tes défauts, paies-toi rapidement un ennemi qui puisse le faire ». Il est important de considérer avec attention et objectivité nos propres lacunes, nos défauts, carences…parce que tout défaut peur devenir un danger pour nous-même et pour les autres. Mais parfois, nous ne voyons pas nos lacunes, nos défauts. Les autres sont des miroirs pour aider à nous connaître ! Ne négligeons jamais les remarques désagréables que peuvent nous faire les gens qui nous aiment. Vous savez pourtant combien nous n’aimons pas les gens qui nous rappellent nos défauts, préférant naturellement ceux qui nous caressent dans le sens du poil. Si un parent ne dit pas à son enfant ses erreurs, l’enfant risque de s’enfermer et devenir un enfant-roi à qui on ne peut faire aucun reproche. Nous en arrivons enfin à des sociétés où tout le monde fait ce qu’il veut, sans tenir compte du bien commun. On a toujours raison et on est le centre du monde.
Le père Daeren, principal de mon lycée au Congo, ne tolérait pas une minute de retard en classe. Un tout petit retard impliquait 1 heure de colle après les cours. Il nous disait : « Je dois être exigeant avec vous car si je laisse passer ces petits retards, demain, vous risquez de vous complaire à aller en retard au travail, ou même d’arriver en retard au rendez-vous d’embauche et gâcher votre vie professionnelle ! »
Si tu aimes vraiment quelqu’un, ne le laisse pas sombrer dans le mal. Ne cherche pas à l’humilier, à l’écraser mais cherche à le sauver, par tes conseils, ton regard bienveillant, tes paroles ! Sois dur avec lui s’il le faut, mais toujours avec amour. Ne reste pas indifférent devant celui qui agresse quelqu’un en ta présence, qui mets ses pieds sur les sièges dans le train… Cette indifférence ou lâcheté est un manque de charité pour la personne et pour la société entière. Mais je sais que la correction fraternelle demande aussi du courage parfois ! Jésus dit à la femme pécheresse : « personne ne t’a condamnée ! Moi non plus je ne te condamne pas. Va et désormais ne pèche plus » ! Dans un autre évangile il dit : « va et évite le mal, il pourrait t’arriver pire encore ! » Demandons au Seigneur de nous apprendre à nous regarder avec amour, à nous soucier de la conversion et du salut les uns des autres à travers une vraie correction fraternelle. Amen.