Retrouver le goût de l’attente
La préparation de Noël n’attend pas ! A peine la Toussaint est-elle passée – confondue par beaucoup avec Halloween et sa cohorte de démons – que déjà les décorations et installations de Noël se mettent en place. A cette heure, tout est déjà quasiment prêt pour Noël. Et on n’hésitera pas à commencer la fête bien avant Noël, avec nombre de repas de Noël qui émailleront le mois de décembre. Et on s’empressera de ranger tout très vite une fois « les fêtes de fin d’année » passées, oubliant que ce sont les fêtes de la Nativité et qu’elles se prolongent jusqu’au baptême du Seigneur. Cette précipitation à commencer avant l’heure et à passer au plus vite à autre chose révèle une défaillance : la difficulté à savoir attendre un bien à venir, et à savoir ensuite le savourer quand il est là. Le bonbon qu’un enfant apprécie le mieux, est-il celui pris à la dérobée et avalé à toute vitesse, ou celui reçu comme un cadeau ou une récompense avant d’être légitimement savouré ?
Il est bon de savoir attendre. Bien sûr, la préparation fait partie de l’attente, mais elle ne doit pas être une anticipation qui violente le réel et qui cherche à redéfinir le temps selon ses désirs : quoi qu’on fasse, quelles que soient les raisons avancées pour justifier autre chose, Noël sera le 25 décembre, la messe de minuit est à minuit, et les repas festifs de Noël ont lieu à Noël. C’est cela le réel, et accepter d’attendre, c’est savoir s’incliner devant le réel. Il faudra savoir attendre devant la crèche avec sa mangeoire vide jusqu’à la messe de la nuit, pour se réjouir de la Nativité du Sauveur et faire la fête.
Attendre, c’est accepter de ne pas être maître du temps et accepter le manque qui se révèle dans l’attente. Ce temps de l’attente permet de creuser profondément le désir afin de goûter plus intensément le don une fois qu’il est reçu.
Cette vertu de l’attente d’un bien à venir a un nom : la longanimité. Elle est un fruit de l’Esprit Saint. Redécouvrons-la dans ce temps de l’Avent ! Ses implications spirituelles sont nombreuses. En effet, être longanime permet d’accepter la Croix avant la Résurrection, et évite donc de vouloir créer un faux paradis terrestre à coup de biens matériels et de recours à « la religion du bien-être ». La longanimité conduit à un esprit d’ascèse et de pénitence (en attendant les biens à venir au ciel), et il ne faut d’ailleurs peut-être pas oublier que, pour les Orientaux, l’Avent est le « petit carême »… La longanimité fait grandir dans l’humilité, qui n’est peut-être pas autre chose qu’un rapport vrai à la réalité. Elle apprend à accueillir comme un don et non comme un dû ce que Dieu nous donne, à la manière des enfants : « Si vous ne redevenez pas comme des petits enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume de Dieu » (Mt 18, 3). La longanimité conduit à la prière, la prière étant la compagne de l’attente des biens divins, elle prépare le coeur pendant l’attente.
Le temps de l’Avent est un temps pour apprendre à attendre. Nous attendons de célébrer ce mystère immense de l’Incarnation, la présence de l’Amour au milieu de nous, l’entrée du Salut dans le monde. Et cette attente, plus profondément, nous renouvelle dans l’attente eschatologique, avec l’attente de la « civilisation de l’amour » chère à saint Jean-Paul II et Benoît XVI, règne de la paix et de la divine volonté, avant l’accomplissement du désir ultime : le retour du Christ dans la gloire. « Viens, Seigneur Jésus ! »
Que ce temps de l’Avent nous permette de retrouver le goût de l’attente, afin de pouvoir accueillir plus intimement, à Noël, le mystère de l’Incarnation, et afin de creuser notre désir des biens du ciel. Essayons de ne pas fêter Noël avant l’heure, essayons de garder la joie propre à la fête de Noël pour le jour de Noël, elle n’en sera que plus belle. Acceptons de nous tenir humblement devant la crèche avec la mangeoire vide, notre cœur se creusera peut-être un peu plus pour libérer une place pour nos frères, surtout les plus pauvres, et par-dessus tout pour le pauvre parmi les pauvres : Jésus le Sauveur.