Mes chers frères et sœurs,
La dernière fois que Jésus Ressuscité apparait aux disciples, dans l’évangile selon saint Jean, c’est sur le lac de Tibériade. Le contexte est difficile pour les disciples. Leurs coeurs sont remplis non seulement de souvenirs de tout ce qu’ils ont vécu et partagé avec Jésus, mais aussi d’amertume, de regret et de culpabilité, surtout de la part de Simon Pierre qui n’a aucun doute sur le fait que Jésus est ressuscité, mais cet événement extraordinaire n’a pas redonné paix et sérénité à son cœur ! Malgré la résurrection de Jésus, Simon Pierre ne s’autorise pas d’être dans la joie. Il porte lourdement dans son cœur le poids de sa trahison, son reniement qu’il a du mal à se pardonner.
Simon Pierre me fait penser à la vie de tant de personnes marquées par des actes ou des péchés graves commis dans leur passé, qui font ensuite l’expérience de la résurrection à travers une conversion, parfois foudroyante, mais qui ont du mal être vraiment sereins et joyeux parce qu’ils trainent le poids de ce passé douloureux qui les a marqués. Il m’est souvent arrivé de confesser une personne, parfois très âgée qui, pour la énième fois, vient confesser un péché commis dans la jeunesse et dont le souvenir hante toujours comme un cauchemar. C’est vrai que Simon Pierre a renié le Seigneur, il a bien avoué à trois reprises le vendredi saint qu’il ne le connaissait pas Jésus, se laissant intimidé par une servante. A présent, Simon Pierre est convaincu au fond de lui d’être un bon a rien, d’avoir loupé sa vie, d’avoir tout échoué et se considère simplement comme un traitre impardonnable.
Simon Pierre est aigri, triste et est revenu à sa vie passée, à son métier d’avant sa rencontre avec Jésus, ce métier de pêcheur qu’il avait abandonné pour suivre Jésus. La belle aventure avec Jésus s’est terminée ! Retour à la dure réalité. Les trois ans passés avec Jésus étaient une très extraordinaires et inoubliables, mais à présent, c’est fini tout ca, il faut tourner la page, reprendre une vie normale. Nous faisons parfois la même expérience ! Après un beau pèlerinage, de JMJ, un séjour à Taizé, une retraite dans un monastère ou un mois d’exercices de Saint Ignace, un grand Jamborée ou un méga camp scout, un séjour à Paray Le Monial avec la communauté de l’Emmanuel… et puis, revenir à la vie normale et se rendre compte que nous avons toujours les mêmes fragilités et les mêmes doutes. Le quotidien est tellement différent de toutes ces fortes expériences ecclésiales et spirituelles. Il faut s’accrocher au quotidien : « Ils partirent et montèrent dans la barque ; or, cette nuit-là, ils ne prirent rien. »
C’est dans cette ambiance que Jésus rencontre sur le rivage ce groupe de pêcheurs fatigués et découragés. « Jetez le filet à droite de la barque, et vous trouverez. » Un silence ! Une hésitation ! « Qu’est-ce qu’il a dit ? Mais c’est qui celui-là ? » C’est le disciple que Jésus aimait, celui qui était resté au pied de la croix avec Marie, qui reconnait le premier le Ressuscité ! « C’est le Seigneur ! » Notre vie commence réellement à changer le jour où, rempli de stupeur et d’émerveillement nous reconnaissons et percevons le Seigneur dans ces petites histoires de notre propre histoire personnelle. Beaucoup cherchent Dieu dans les apparitions, les miracles parce qu’ils ont du mal à le voir et le percevoir dans leur quotidien. On le cherche dehors alors que Dieu nous apparait et nous rencontre toujours dans la chapelle de notre cœur au quotidien. Chercher Dieu toujours dans les miracles, et les manifestations extraordinaires peut être plus un manque de foi qu’un vrai désir de Dieu.
Saint Jean est le seul à reconnaitre Jésus ressuscité, comme au matin de Pâques, en découvrant le tombeau vide : « il vit et il crut ». Les idées, sans l’amour, ne voient jamais le Seigneur. C’est parce que nous aimons le Seigneur que nous pouvons le voir présent et agissant dans notre vie. Aucune idée sur Dieu ne nous fera faire l’expérience de sa présence. Simon Pierre est l’Eglise qui, avec beaucoup de mal, va à la pêche, mais n’arrive à rien prendre parce que cette Eglise dans la routine. Combien de fois nous avons fait le constat que notre manière de « vivre et de faire Eglise » ne marche plus, que nous sommes depuis des années dans la routine mais nous résistons au changement, nous refusons de faire autrement, parce que prisonniers de la routine, du « on a toujours fait comme ça depuis des années et on ne voit pas pourquoi changer… », alors qu’en réalité nous voyons que notre vieux système ne marche plus aujourd’hui.
Pierre doit mouiller sa propre sécurité ! Tellement enfermé dans ses schémas mentaux ! Quand nous sommes enfermés dans nos vielles idées fixes, nous devenons immobiles, engourdis spirituellement et mourrons de l’intérieur parce que nous refusons de changer. Toute rigidité, toute raideur tue parce que la vie demande de la souplesse et de la légèreté. Simon Pierre est encore dans ses rigidités, il tient à son autorité, symbolisée ici par le vêtement ! Il met un vêtement avant de se jeter à l’eau ! « Quand Simon-Pierre entendit que c’était le Seigneur, il passa un vêtement, car il n’avait rien sur lui, et il se jeta à l’eau. » Pierre doit affronter encore une fois ses peurs et reconnaître ses propres rigidités.
Sur le lac de Tibériade, Jésus revient voir ceux qui l’avaient abandonnée. Au lieu de leur demander de se mettre à genou, de lui demander pardon, c’est Jésus qui se met à genou devant le feu de bois et qui, une fois encore se met au service de ses disciples fragiles, fatigués et découragés. Aucun reproche. Il ne leur reproche même pas leur retour à la vie d’avant, à leur métier de pêcheur. C’est le style de Dieu : tendresse, humilité et miséricorde. Jésus ne nous fait pas de reproches, ne nous accuse pas, ne nous demande pas des explications ! Pour Dieu, aucun humain ne peut être identifié ni enfermé dans son péché ou sa faute. La sainteté ne consiste pas dans le fait de n’avoir jamais commis de péché ou de n’avoir jamais trahi, mais dans la capacité à renouveler notre amitié au Seigneur. Et c’est Jésus qui demande : « Apportez donc de ces poissons que vous venez de prendre. »
C’est dans ce climat d’amitié et de simplicité que se déroule le dialogue entre Jésus et Simon Pierre. « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment, plus que ceux-ci ? » Il lui répond : « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. » Jésus lui dit : « Sois le berger de mes agneaux. » Il lui dit une deuxième fois : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment ? » Il lui répond : « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. » Jésus lui dit : « Sois le pasteur de mes brebis. » Il lui dit, pour la troisième fois : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? ». Jésus abaisse le tir, il s’adapte. Peu importe la trahison, le reniement et la fragilité de de Pierre. Il lui demande simplement de l’aimer comme il peu ! Cela suffit !
Maintenant que Pierre a accepté et reconnu ses peurs, ses fragilités et ses faiblesses, il devient capable d’être le berger, le pasteur pour conduire les autres. Jésus lui demande de le suivre car Simon Pierre sait désormais que suivre le Christ ne signifie pas faire carrière, régner, avoir le pouvoir mais être simplement au service et passer parfois à travers l’épreuve de la croix.
Saint Augustin, commentant ce passage nous rappelle que Jésus, en interrogeant Simon Pierre, pose la même question à chacun de nous, nous demandant si nous l’aimons. La bonne nouvelle de ce dimanche c’est qu’au dernier jour, après avoir trahi et renié le Seigneur des centaines de milliers de fois, il me demandera de centaines de milliers de fois de lui renouveler mon amour. Et j’espère que chacun répondra sincèrement, peut-être, les larmes aux yeux, mais comme Simon Pierre : « Oui, Seigneur tu sais tout, tu sais bien que je t’aime ».