Ce soir, contemplons Jésus élevé de terre ! Il attire à lui l’humanité entière, des hommes et femmes auxquels il ouvre largement ses bras ! Lui ouvrirons-nous nos bras à notre tour pour cette étreinte qui sauve ? Avec une infinie douceur, Jésus nous regarde et veut croiser notre regard car dans nos yeux, il verra ce que nous avons dans le cœur, les sentiments qui nous animent. Il nous ouvre son cœur mais sommes-nous capables de lui ouvrir le nôtre ? De son cœur transpercé par une lance, il fait jaillir sur nous l’eau et sang, symbole des sacrements, source intarissable à travers laquelle Dieu continue, aujourd’hui encore, à nous donner sa vie en abondance. Dans le récit de la Passion selon saint Jean médité chaque vendredi saint, il y a quelques détails absents chez les synoptiques. Autour de la croix, il n’y a pas une foule qui crie mais seulement des soldats romains, des païens, et des femmes qui entourent Marie, avec le Disciple Bien-aimé.
Au jardin des Oliviers, Jésus est arrêté tandis que ses disciples sont plutôt impétueux, agressifs et prêts à faire l’usage d’une épée, comme on le voit chez Pierre : « Or Simon-Pierre
avait une épée ; il la tira, frappa le serviteur du grand prêtre et lui coupa l’oreille droite » ! Contrairement à ce que nous avons lu dimanche dans le récit de la Passion selon saint Marc, le Jésus de la Passion selon saint Jean n’est pas triste, n’a pas peur et se préoccupe plutôt du sort de ses disciples : « Si donc c’est moi que vous cherchez, laissez-les partir » dit-il aux soldats qui agressent ses disciples.
Les disciples sont perdus, incapables de soutenir leur Maître dans ce drame. On le voit dans la fuite des apôtres et le reniement de Pierre dans la cour du Grand Prêtre. Pour Jésus, nos trahisons ne sont pas irréversibles. Ce qui est le plus important, c’est cet Amour qu’il déverse sur ses disciples, sur nous. Son amour pour nous est infiniment plus important, plus déterminant que nos trahisons, nos misères et nos fragilités. Sa volonté de porter sur lui nos pauvretés est infiniment plus forte que nos propres pauvretés. Là où le péché a abondé, la miséricorde et l’amour ont surabondé nous rappelle saint Paul.
C’est Jésus qui prend lui-même la croix pour la porter sans aucune aide ! Pas la peine de chercher Simon de Cyrène pour lui venir en aide. Ce Roi crucifié gouverne l’histoire et les événements à travers le don total de lui-même. Notre vie est dans ses mains clouées, mais qui n’ont rien fait de mal, mais qui ont béni, nourri, purifié, touché nos lèpres, lavé nos pieds sales ! Notre destinée est dans ses bras ouverts sur la croix. En sommes-nous conscients ? Il est le Maître de l’histoire du monde, de notre propre histoire, même quand elle semble nous dépasser. Le laisserons-nous prendre le gouvernail de nos vies déboussolées ? Dans la scène du vendredi saint, la douleur, la souffrance, l’angoisse de chacun de nous sont portées intégralement, sont dépassées, vaincues et transfigurées par la puissance de l’Amour de Celui qui meurt ! Dans cette scène, où sommes-nous ? Où est notre place ? Où se trouve l’Eglise ?
Nous pouvons nous demander où nous nous trouvons dans ce tableau, dans cette période pendant laquelle nous nous sentons fragiles, perdus, angoissés et terrorisés par la peur devant le mal, dont la Covid19 n’est qu’une manifestation ? Nous aimerions que Jésus porte sur nous son regard, que quelques gouttes d’eau et de sang jaillissant de son côté transpercé tombent sur nous pour nous laver, nous purifier, nous guérir, nous sortir de cette crise. La célébration de ce soir nous invite à supplier le Seigneur, à nous approcher davantage de sa croix ! Il verra ainsi, dans nos yeux cette angoisse qui nous terrorise, angoisse née des souffrances familiales, affectives, professionnelles, sanitaires que nous traversons actuellement. Si nous nous approchons de Jésus, sûrement qu’une goutte d’eau, de sang de son côté ouvert jaillira sur nous pour purifier et abreuver nos cœurs assoiffés de vie, de bonheur et d’amour !
Mettons-nous au pied de la croix, avec Marie, les saintes femmes et les Disciples bien-aimés pour pleurer le Seigneur présent dans nos douleurs et nos deuils. Jésus nous confie Marie comme Mère. Au pied de la croix, nous sommes tous devenus ses enfants. Jésus nous demande de prendre soin de Marie, mais en réalité, c’est elle, Marie notre Mère qui prend soin de nous. Quand nous pleurons, Marie pleure avec nous. Nous avons ici une icône de piété filiale. En nous mettant au pied de la croix avec Marie, nous naissons de nouveau pour devenir fils et filles de Marie, frères et sœurs du Seigneur présents au pied de la croix grâce à travers le disciple bien-aimé qui reçoit Marie comme Mère.
L’Eglise naît au pied de la croix avec Marie. Plus tard il y aura la Pentecôte, mais au pied de la croix, Marie, les saintes femmes et le disciple bien-aimé contemplent Jésus qui rend l’Esprit et son côté ouvert d’où jaillissent l’eau et le sang : la source de tous les sacrements, dont le premier est le baptême, à travers lesquels Jésus nous fait naître à la vie divine, la nourrit, en prend soin et lui fait porter des fruits en abondance si nous restons attachés sur lui comme le sarment sur la vigne. Au pied de la croix, Marie devient la Mère de tous les nouveaux enfants, nés par la foi, nés du baptême, comme ceux qui seront baptisés ce dimanche de Pâques et qui s’entrainent dans l’art de l’écoute du Maître, l’art du lavement des pieds, c’est-à-dire du service dans l’Eglise et dans le monde.
L’Eglise est cette petite communauté de quelques personnes qui sont au pied de la croix, qui pleurent, souffrent avec Marie, Notre-Dame de Douleurs, mais sur qui tombent l’eau et le sang jaillissant du cœur transpercé de Jésus. Ce petit groupe conserve la promesse de la résurrection. Ce groupe devra ensuite témoigner au monde qu’on ne peut pas tuer l’Amour. Ceux qui avaient condamné Jésus étaient sûrs d’avoir crucifié, mis à mort et enseveli l’Amour, mais ils se sont trompés car au matin de Pâques, l’Amour est sorti victorieux d’une tombe laissée vide.
En ce temps difficile que nous vivons, restons au pied de tout crucifié, de tous les crucifiés dont Jésus a porté la souffrance sur la croix. Faisons-le par des gestes et des paroles simples autour de nous ! Jésus est encore crucifié dans beaucoup de visages autour de nous ! Il suffit d’ouvrir nos yeux, nos oreilles, et surtout, notre cœur pour s’en apercevoir. Faisons-le en accueillant, avec les larmes de Pierre, nos propres blessures et nos cœurs transpercés. Allons-nous nous laisser déshabiller de notre orgueil par lequel nous cachons notre peur, notre angoisse de la mort ? Pourrons-nous permettre à notre Mère Marie, Notre-Dame des Douleurs, qui a recueilli Jésus dans ses bras, de nous prendre nous aussi sur ses genoux, pour pleurer sur nous, verser sur nous ses larmes remplies de tendresse maternelle, pour nous couvrir, comme Jésus, d’un suaire de tendresse et de miséricorde ? Elle nous obtiendra la grâce d’être des enfants nouveaux, ressuscités à la vie nouvelle avec Jésus au matin de Pâques. Restons avec Marie, en silence, pleurant nos misères, dépouillés de nous-mêmes, mais confiants dans l’Amour qui se livre sur la Croix, mais qui sortira vivant et victorieux du tombeau. Amen.