Mes chers frères et sœurs !

La passion, c’est l’amour fort que vous ressentez, cette sensation de joie et de bonheur, un état qui nous rend sensiblement heureux. La passion, c’est aussi cette douleur, cette souffrance, cette épreuve lourde à porter.  L’office du vendredi saint nous fait contempler ces deux dimensions étroitement liées dans la vie de Jésus qui nous aime de manière passionnelle et sans limite au point d’accepter la souffrance par amour pour nous. Nous faisons l’expérience de souffrir dans nos amours ! Si nous humains, faibles et fragiles, acceptons de souffrir par amour pour les autres, imaginer combien le Seigneur lui-même, puissant dans son amour a dû souffrir pour nous. Ce soir, contemplons cet amour qui souffre, parce qu’il s’offre totalement et gratuitement, rendons-nous compte de la grâce sans mesure du salut réalisé dans la passion et la mort de Jésus.

Ce que Jésus a rendu sacramentalement et réellement visible pendant la dernière Cène par le pain et le vin en se donnant totalement à ses disciples et à nous, cela s’actualise ce soir à travers le récit de la Passion que nous venons d’écouter tel que le relate saint Jean. Je vous invite,, comme je vous l’ai proposé aux Rameaux, si vous le pouvez, à relire et méditer tous les détails de la Passion de ce vendredi saint avec toute sa profondeur toute particulière : l’arrestation, la fuite des disciples, le reniement de Pierre, la torture, le procès injuste, la condamnation à mort, la sépulture. Tout cela veut nous dire quelque chose sur notre foi et de notre vie ici et maintenant. La Passion de notre Seigneur ne sert à rien si nous ne la laissons pas toucher personnellement notre vie car Jésus est venu et a souffert pour chacun de nous personnellement, nous montrant que nous avons un prix inestimable à ses yeux.

Saint Jean parle de l’Heure de Jésus : la fameuse l’heure qui n’était pas encore arrivée à Cana quand Marie intervient pour lui demander de pourvoir au manque de vin. « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue. » (Jn2,4). Saint Luc parle de cette heure quand il voit le diable s’éloigner de Jésus lors des tentations au désert que nous avions médité le premier dimanche de carême : « Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations, le diable s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé » (Lc 4, 13)

Que veut dire cette heure, vers laquelle conduit tout l’évangile selon saint Jean ?  C’est l’heure de la glorification, l’heure de passer de ce monde à son Père, l’heure que nous célébrons ce soir, heure de l’accomplissement de la volonté du Père, heure de la manifestation de la fidélité de Dieu qui veut nous sauver malgré nos résistances et où Dieu nous redit qu’il ne peut pas nous laisser tomber.

Le diable a pris place dans le cœur de Judas Iscariote qui vend son Seigneur, mais en chacun de nous il y a ce Judas qui trahit et qui vend son Maître.  J’ai été marqué dans mon enfance par un chant de carême dans lequel l’auteur rappelle que : « Moi aussi je suis dans ma vie comme celui qui t’a vendu, qui t’a renié, qui t’a insulté, flagellé, crucifié… Ma vie ressemble parfois à celle de tous ces bourreaux qui t’ont mis à mort. Seigneur prend pitié de moi ».

Même si Judas est l’instrument de la trahison, en réalité, Jésus est arrêté parce qu’il se donne librement et sans contrainte, et non pas parce que les soldats sont tellement forts et puissants. Saint Jean nous fait remarquer que les soldats ont peur de Jésus et tombent à terre quand ils sont en face de lui : « Alors Jésus, sachant tout ce qui allait lui arriver, s’avança et leur dit : « Qui cherchez-vous ? » Ils lui répondirent : « Jésus le Nazaréen. » Il leur dit : « C’est moi, je le suis.» Judas, qui le livrait, se tenait avec eux. Quand Jésus leur répondit : « C’est moi, je le suis », ils reculèrent, et ils tombèrent à terre » (Jn18, 4-6). Ils sont armés mais n’ont pas la maîtrise de la situation. Ils sont intimidés par ce Dieu tout-puissant, pourtant désarmé et tellement fragile !

Jésus est arrêté parce que son heure s’accomplit. Le diable a momentanément le champ libre pour se servir de la dureté de cœur de l’homme égoïste que nous sommes, incarné par Judas, qui préfère l’argent à son Seigneur ! Notre archevêque Guy de Kérimel a dit récemment qu’il avait l’impression que notre société actuelle avait vendu son âme pour l’argent qui est devenu presque comme la valeur absolue.

Jésus aurait pu s’échapper, ne pas se laisser prendre, se défendre en utilisant la puissance de son Père qui lui aurait envoyé douze légions d’anges…, revendiquer ses droits devant Pilate, étant donné que ce dernier est en train de le condamner contre ce que prescrit la loi romaine.  Le Sanhedrin n’avait plu le pouvoir de condamner à mort quelqu’un car ce pouvoir revenait de droit à l’autorité romaine seulement en cas de rébellion ou d’autres crimes graves. D’ailleurs, pour ce dont Jésus est accusé, il mérite au maximum la mort par lapidation, non par crucifixion. Il s’agit d’une question religieuse, non d’un crime politique ou une rébellion. En condamnant Jésus, Pilate agit contre la loi romaine qui l’oblige de libérer les innocents et de condamner les criminels comme Barabbas. Spirituellement, Jésus sauve déjà Barabbas l’assassin d’une mort certaine, prélude de ce qu’il va se réaliser quand il nous sauve en mourant sur la croix. Jésus n’a pas eu un procès en règle étant donné qu’il n’était pas permis de prononcer une condamnation à mort pendant la nuit. Bref, Jésus a tous les éléments en sa faveur pour éviter une condamnation à mort par crucifixion.

Mais Jésus accepte tout cela librement, il accepte de mourir pour ensuite ressusciter. Seul son sang pouvait racheter le monde et nous donner la vie en plénitude. Notre salut ne se serait pas réalisé si Jésus était descendu de la croix et avait réagi aux insultes.  Il accepte ces outrages, sa passion et sa mort pour nous montrer qu’Il nous aime infiniment malgré nos péchés. Si nous ne pouvons pas compter sur nos qualités, nos mérites et nos bonnes œuvres, nous savons désormais que nous pouvons compter éternellement sur son Amour infini manifesté sur la croix.  La Passion et la mort de Jésus nous disent que le salut, pour les chrétiens, est un don gratuit, jamais un mérite de notre part.

Pour notre monde, la célébration de ce soir nous présente un Messie qui échoue, scandale pour les Juifs et folie pour les Grecs, inconcevable dans aucune religion. Et pourtant, c’est là que le Messie manifeste sa toute-puissance, non pas dans la force qui s’impose, oblige, opprime et fait peur, mais dans son Amour qui se donne totalement, accepte de souffrir et meurt mais sans laisser la mort victorieuse car l’amour ne meurt jamais mais nous fait passer de la mort à la vie. La puissance de Jésus ne se manifeste pas seulement dans les miracles, dans la création. C’est surtout dans le don suprême de soi manifesté à travers un amour fragile et impuissant qu’est la mort en croix. Jésus montre ainsi que son amour pour nous embrasse totalement les vicissitudes de notre vie, nos frustrations, nos amertumes, nos deuils, nos solitudes, nos violences, nos maladies, notre propre mort.  En Jésus, Dieu montre qu’il n’est pas indifférent à nos malheurs.

En contemplant le Seigneur mort en croix ce soir, présentons-lui ce monde qui se meurt, les souffrances de nos vies, ceux qui désespèrent du lendemain, qui qui sont obligés de quitter leurs pays à cause de la violence et de la guerre, ceux qui souffrent dans leur corps et dans leur âme dans nos EHPAD, nos hôpitaux et clinique, nos maisons familiales, dans nos rues et dans les camps de réfugiés et tous les lieux de souffrances ! Marie, Notre-Dame des Douleurs, toi qui étais au pieds de la croix, reste avec nous dans nos croix quotidiennes. Que ta mort Seigneur Jésus, fasse naître la paix, la foi, l’espérance et l’amour dans nos cœurs, nos familles, notre communauté, dans l’Eglise et dans le monde. Amen