Mes chers frères et sœurs !

On pourrait faire une petite enquête qui n’a pas d’ennemi parmi nous, c’est-à-dire, quelqu’un que vous n’aimez pas ou qui ne vous aime pas, et avec qui vous gardez une certaine haine ! Peut-être même que vous désirez la mort de cette personne comme dans certains psaumes imprécatoires dans lesquels le psalmiste prie pour la mort de ses ennemis. Le psaume 108 est un exemple pour l’illustrer :

« Dieu de ma louange, sors de ton silence ! La bouche de l’impie, la bouche du fourbe, s’ouvrent contre moi : * ils parlent de moi pour dire des mensonges ; ils me cernent de propos haineux, ils m’attaquent sans raison. Pour prix de mon amitié, ils m’accusent, moi qui ne suis que prière. Ils me rendent le mal pour le bien, ils paient mon amitié de leur haine. « Chargeons un impie de l’attaquer : qu’un accusateur se tienne à sa droite.  A son procès, qu’on le déclare impie, que sa prière soit comptée comme une faute. « Que les jours de sa vie soient écourtés, qu’un autre prenne sa charge. Que ses fils deviennent orphelins, que sa femme soit veuve. « Qu’ils soient errants, vagabonds, ses fils, qu’ils mendient, expulsés de leurs ruines. Qu’un usurier saisisse tout son bien, que d’autres s’emparent du fruit de son travail. « Que nul ne lui reste fidèle, que nul n’ait pitié de ses orphelins. Que soit retranchée sa descendance, que son nom s’efface avec ses enfants. » (Ps108, 1-13).

J’espère que personne ne nourrit de tels sentiments envers vous, et que vous n’en nourrissez envers personne ! Pourtant, je sais que si nous regardons nos relations avec un peu d’objectivité, nous trouverons dans notre entourage familial, professionnel, ecclésial, politique….une personne que nous n’aimons pas vraiment et à qui nous pouvons souhaiter le malheur. C’est humain, même si ce n’est pas chrétien.

Le roi Saül et le jeune David sont ennemis. Saül nourrit une jalousie meurtrière envers David qu’il persécute jusqu’à vouloir l’assassiner. Ce dernier est obligé de fuir et changer très souvent de lieu de refuge.  A un certain moment, David trouve une caverne où il se cache tranquillement et se trouve presque en position de force par rapport au roi Saül. Il a l’occasion de tuer, ce qui mettrait fin à son calvaire. Qu’aurais-je fait à la place de David ? David a une attitude qui nous parait humainement impossible : non seulement il empêche à ses amis d’assassiner Saül, parce que consacré et oint par Yahvé. Plus encore, David lui fait un grand acte de déférence en l’appelant pour se mettre à genou devant lui. Nous trouvons cet épisode dans 1 Sam 24.  L’histoire décrite dans la première lecture nous montre combien David a, une fois de plus, la possibilité que de s’emparer de la lance de Saül qui s’endort.  Mais là encore, David épargne la vie de Saül et renouvelle son allégeance envers celui qu’il considère toujours comme son roi.

Dans la mentalité juive de l’époque, un ennemi devait être éliminé immédiatement quand on en avait l’occasion. Avoir la possibilité de tuer son ennemi signifiait que c’était Dieu lui-même qui nous en donnait l’autorisation de nous débarrasser de notre ennemi, surtout si ce dernier en voulait à notre vie. David pardonne au roi Saül de lui en vouloir à mort, et au lieu de l’assassiner, il cherche les moyens de discuter, de dialoguer avec lui dans le but de comprendre les raisons véritables de l’hostilité qu’il lui voue. Il ne veut pas céder à la haine mais veut se réconcilier avec celui qu’il considère toujours comme son roi.

C’est ainsi que Dieu agit envers nous ! Nous sommes pécheurs et Dieu a des milliers des raisons de nous condamner. C’est à nous de nous humilier devant Dieu et de demander pardon. Et pourtant, au cœur de la foi chrétienne, il y a cette initiative unilatérale de Dieu qui s’humilie en voulant se réconcilier avec nous en offrant sa vie sur la croix.  Jésus sait que nous avons le cœur endurci que c’est lui qui vient vers nous pour nous donner définitivement son pardon, alors que nous mériterions un châtiment. Nous sommes bénéficiaires d’une telle grâce non méritée de la part du Seigneur qui nous demande à notre tour d’essayer d’avoir la même attitude envers ceux qui nous haïssent et nous persécutent. Jésus nous invite à pardonner soixante-sept fois sept fois, c’est-à-dire, toujours. Nous devons pardonner à ceux qui nous offensent, parce que nos dettes envers Dieu sont plus colossales et plus insoutenables.

Dans l’évangile de ce dimanche, Jésus nous porte au sommet paradoxal de la doctrine chrétienne : aimer nos ennemis, ceux qui nous persécutent, de répondre à la violence par l’amour et non pas par la haine : « aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient !  Nous aimerions peut-être arracher cette page des évangiles, parce que nous considérons ceci comme exagéré, utopique pour les pauvres mortels que nous sommes. Jésus nous rappelle que ceci est la mesure plus haute de l’Evangile et c’est vers ce sommet qu’il veut nous amener, vers la perfection de l’amour.

Aimer nos ennemis est la voie extraordinaire que Jésus nous a voulu nous montrer. Avant de mourir, c’est lui qui s’adresse au Père en demandant pardon pour ceux qui lui ôtait la vie : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ! »  Lors de son martyr, saint Etienne, fera la même prière pour ses assassins avant de mourir. Jésus nous dit : « si vous aimez seulement ceux qui vous aiment, que faites-vous d’extraordinaire ? » Si notre humanité nous pousse naturellement à aimer ceux qui nous aiment, à faire du bien à ceux qui nous en font, Jésus veut nous tirer vers le haut en nous revêtant de sa divinité, pour ressembler à notre Père céleste qui fait du bien aux bons comme aux mauvais. « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux ». Tout l’évangile selon saint Luc est une déclinaison de cette miséricorde infinie du Père envers nous, et dont nous sommes appelés à témoigner.

Être miséricordieux, c’est se laisser toucher le cœur par ceux qui souffrent. C’est pour cela que dans la bible le mot « miséricorde » est avant tout un sentiment maternel, celui qu’une femme éprouve quand il porte un enfant dans son ventre. Devant une souffrance, nous éprouvons tous ce sentiment qui nous pousse à agir, à faire quelque chose, si du moins notre cœur n’est pas devenu un cœur de pierre !

Nous sommes attachés à la logique : péché-châtiment, pénitence-pardon. Mais Jésus nous amène ailleurs en nous rappelant que le pardon précède la conversion. On se convertit, on se repent parce qu’on a été pardonné. Aucun personnage de l’évangile n’a été pardonné après s’être repenti, mais tous se sont repentis seulement après avoir été pardonnés. Pensez à Zachée, à la femme pécheresse… C’est l’amour de Dieu qui rend possible notre conversion, et l’amour de nos ennemis peut désarmer leur cœur rempli de haine comme essaye de le David envers Saül.

Certains parmi nous sont peut-être en train de se dire : tout ceci est bien beau, mais impossible et utopique. Comment aimer nos ennemis alors que nous avons déjà beaucoup de mal à aimer les personnes avec lesquelles nous vivons, l’homme ou la femme que j’ai moi-même choisi dans le mariage, le frère ou la sœur avec qui je partage le sang… Nous nous disons qu’il n’est pas humainement possible de survivre à cette logique folle proposée par Jésus ! La première étape pour y arriver, c’est de désirer d’abord y arriver. Ensuite, demandons chaque jour à Jésus de nous donner la grâce en nous revêtant de la sainteté à laquelle il nous appelle. Que cette eucharistie nous aide vaincre notre humanité fragile et pécheresse, pour nous revêtir de la miséricorde de ce Dieu qui nous appelle à être semblable à lui. Amen.