« Seigneur, veux-tu que nous ordonnions que le feu tombe du ciel pour les détruire ? »
Ces paroles sont choquantes ! Et puisqu’elles s’adressent à Jésus, nous pouvons dire qu’il s’agit bien d’une prière, parce que chaque fois qu’on s’adresse à Dieu, c’est cela la prière. Elle peut être une action de grâce, une louange, une intercession ou alors une demande, de pardon ou d’une faveur. Dans cet évangile, les paroles de cette prière sortent de la bouche et du cœur du plus jeune et du plus mystique des apôtres, celui qui est appelé le « disciple bien-aimé », Jean, celui qui, pendant la dernière cène avait posé sa tête sur le cœur du Seigneur. Comment de telles paroles peuvent-elles sortir de la bouche d’un disciple ? Encore, si c’était Judas qui les avait prononcées, on comprendrait ! Mais dans l’évangile, il ne s’agit pas de Judas, mais du plus mystique des apôtres !
En lisant l’évangile lors de la préparation cette homélie, j’avoue avoir été choqué par le décalage entre l’imageque nous avons de l’apôtre Jean et cette sorte de haine, de violence et de rancœur qui sortent de son cœur, en passant par sa bouche. Jean me fait penser Paloma, la fille de ma secrétaire de l’ancienne paroisse : petite fille trop belle, avec vraie tête d’ange ! Mais elle était capable de faire volontairement de grosse bêtise à l’école et la maîtresse pouvait punir quelqu’un d’autre parce que c’était inconcevable que Paloma fasse cette bêtise ! Mais la mère me disait : père Joseph, méfie-toi de cette tête d’ange parce que parfois Paloma peut réagir comme le diable ! Nous côtoyons parfois certaines ces personnes dans nos familles, en communautés, nos mouvements, au travail : vous les voyez avec une tête d’ange…et vous vous dites que cet homme, cette femme, cet enfant n’est pas capable de faire du mal. Pourtant, vous découvrez qu’il, qu’elle est capable de faire des sales coups, des horreurs, des méchancetés aux autres au point que nous avons du mal à accepter si l’on n’en est pas un témoin direct.
Vous et moi, nous sommes tous capables de haine ou violence comme Jean et Jacques, deux disciples qui ont pourtant marché avec Jésus, partageant ses joies, écoutant ses enseignements sur le pardon et la miséricorde, l’amour des ennemis, goûtant la douceur et la tendresse qui sortait de ses gestes et paroles. Comme eux, nous avons vécu et vivons de belles choses, de profondes expériences chrétiennes à la suite de Jésus, et pourtant, nous ne sommes pas vaccinés contre le mal, la violence, la rancœur et la haine.
L’un des enseignements de ce dimanche qui nous fait entrer dans la période estivale et les vacances est de nous rappeler que la vengeance est toujours diabolique. La haine, la violence est un venin présent en chacun de nous, à petite ou forte dose, qui nous ronge de manière insidieuse et qui peut détruire notre âme. Nous pouvons toujours trouver des excuses et des justifications à notre vengeance, rancœur, haine de l’autre, en particulier celui qui nous a fait du mal, celui que nous qualifions d’ennemi….Un pervers mécanisme de raisonnement pourra toujours justifier n’importe quel crime ! Combien j’entends des explications psychologiques excusant le pédophile de son crime parce qu’abusé dans son enfance lui aussi ou un parent violent qui justifie sa violence par la fait d’avoir eu des parents violents….
Un homicide pourra toujours dire : « Je l’ai tué parce que c’est lui qui m’a provoqué ». Pensez aux conflits dans le monde. On a toujours une bonne raison pour bombarder le voisin, le russe et l’Ukrainien, Israélien ou Palestinien, Américain ou Afgan, le sud et nord-coréen, le Rwandais et Congolais, le Wallon et le Flamand… Tutsi et le Hutu trouveront toujours une bonne raison pour se haïr…. Vous pouvez poursuivre la liste et chacun peut trouver dans sa propre vie, parmi ses voisins, dans sa famille, parmi ses collègues comment nous essayons justifier et excuser nos haines et à nos bêtises. Nous en faisons l’expérience dans le sacrement de réconciliation ! Combien de fois nous allons confesser un péché tout en nous trouvant des excuses, en essayant de trouver des circonstances atténuantes pour expliquer comment nous en sommes arrivés à commettre ce péché : « Je ne lui adresse plus la parole parce qu’il a été très méchant avec moi. J’ai trompé mon mari, mon épouse parce qu’il ne me rouche plus ou n’accepte plus que je la ou le touche. Je l’ai blessé pour qu’il sente aussi combien ça fait mal quand il blesse les autres… »
C’est ce type de raisonnement de vengeance qui anime le cœur de Jacques et Jean, et c’est cela que le Seigneur condamne. Parce que les Samaritains refusent de les accueillir, Jacques et Jean suivent la logique de l’œil pour œil et dent pour dent. L’Evangile nous dit que Jésus les interpella vivement… et se dirigea vers un autre village. En réagissant ainsi, Jésus, qui est juif, prend la défense des Samaritains, qui étaient historiquement les ennemis des juifs. Dieu défend ceux qui ne pensent pas comme lui et nous invite à abandonner la logique qui dit que les ennemis doivent se combattre et s’éliminer mutuellement, pour que le plus fort puisse gagner toujours.
En devenant chrétien par le baptême, c’est cette logique nous devons apprendre à ces enfants qui sont baptisés aujourd’hui. Jésus veut éliminer le concept même d’ennemi. Il cherche un autre village, il fuit la violence, prend une autre route, une autre voie, qui nous empêche de sombrer dans le cercle vicieux et l’engrenage de la vengeance et la rancœur, pour mettre la paix dans les cœurs. Mon accompagnateur spirituel me disait un jour «, Joseph, nous ne sommes pas responsables des blessures que nous subissons, celles qui nous sont infligées, mais nous sommes responsables de ce que nous décidons d’en faire : la vengeance, la rancœur, ou alors le pardon et la paix ». Jésus a choisi la voie de la paix et c’est cela que nous sommes appelés à choisir si nous voulons résolument le suivre jusqu’au bout.
Et c’est cela le deuxième enseignement de cet évangile ! Suivre Jésus jusqu’au bout n’est pas facile. Jésus lui-même l’atteste et nous le voyons dans la deuxième partie de l’évangile : « En cours de route, un homme dit à Jésus : « Je te suivrai partout où tu iras. ». Jésus lui déclara : « Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête. » Il dit à un autre : « Suis-moi. » L’homme répondit : « Permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père. » Mais Jésus répliqua : « Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, va annoncer le règne de Dieu. ».
Ces paroles sont dures pour nous aujourd’hui. Mais elles l’étaient aussi pour les apôtres. Avec la métaphore des renards et des oiseaux, Jésus parle de sa personne et de sa mission menacée par le pouvoir politique et religieux. Il est toujours sur la route qui le conduit vers Jérusalem, lieu du refus, de la condamnation et de la mort. Devenir chrétien, suivre Jésus sur ce chemin, c’est accepter le refus, comprendre qu’on ne peut être aimé par tout le monde. Tranquillité et la facilité ne font pas partie du chemin de Jésus. Un disciple du Christ ne sera jamais tranquille !
La foi chrétienne n’est quelque chose de toujours confortable, de toujours joyeux et idyllique… Très souvent nous sommes éprouvés parce que nous sommes disciples du Christ. Jésus nous dit que celui qui veut marcher à sa suite doit d’abord prendre sa propre croix. L’expérience de la foi nous ouvre toujours de nouveaux horizons, de nouvelles routes, nous fait voir que nous avons encore des conversions à vivre. Malheureusement, nous choisissons souvent ce qui nous convient dans la foi, ce qui est plus facile, plus light, sans contrainte, ni devoir, ni obligation, ni sacrifice…éléments font pourtant partie intégrante de la foi, parce qu’ils font partie intégrante de la vie quotidienne, et c’est chaque jour qu’il faut suivre Jésus, dans un oui, une liberté toujours généreuse et renouvelée.
Si tout ceci vaut pour ceux qui consacrent leur vie au Seigneur dans la vie sacerdotale et religieuse, ça vaut tout autant pour chaque baptisé : Suivre Jésus, c’est abandonner notre manière purement humaine de regarder le monde et les autres, schèmes de pensée, afin de voir le monde et les événements avec le cœur de Dieu…et qui rend les hommes et les femmes plus fraternels, plus pacifiés, apaisés et guéris de toute haine et de toute violence. Puisse Jésus nous guérir de nos rancœurs et nous donner un cœur plein d’amour pour lui- même et pour ceux que nous côtoyons chaque jour. Amen.