Mes chers frères et sœurs !

Nous sommes dans une société traditionnellement et formellement chrétienne (On parle des racines chrétiennes de la France), mais avouons que ce ne sont plus les valeurs chrétiennes et de l’Evangile qui orientent et éclairent nos vies au quotidien et nos choix de sociétés. Nous vivons un grand déficit des valeurs chrétiennes, voire même humaines tout simplement dans nos sociétés.

En cette rentrée après les grandes vacances dont vous avez bien profité, j’espère), la Parole de Dieu met en lumière deux valeurs chrétiennes fondamentales à vivre et pratiquer au cours de cette année que nous venons de commencer. Il s’agit du pardon et de la correction fraternelle, valeurs que mêmes nous, bons catholiques pratiquants, sommes aussi loin de les vivre comme le préconise l’Evangile.

Parlons d’abord du péché et du pardon, car pour qu’il y ait pardon, il faut qu’il y ait conscience de péché. Certains croient que, nous autres catholiques, en ce qui concerne le péché, sommes vaccinés, mieux préparés et plus avertis que les autres. Nous avons passé des siècles, dans l’histoire de l’Eglise, à voir partout le péché, même là où il n’existait pas. En théologie, nous l’avons analysé, sectionné, étudié, reparti en catégories, en péché véniels, mortels, capitaux, graves et pas graves… Aujourd’hui encore, il y a des gens qui identifient le christianisme à une religion morale qui a pour mission de dicter et décréter ce qu’il est bien et ce qui est mal, et l’Eglise comme une institution, la seule à avoir l’autorité, de réaffirmer et définir ce qui est de l’ordre du péché. Si dans le passé, nous avons tellement vu le péché partout, et paradoxalement, la conscience du péché a presque disparu dans la société actuelle. Nous rencontrons de plus en plus de gens qui ont perdu toute notion de péché, des gens qui ne considèrent aucun acte comme peccamineux.

Une société qui n’est pas éduquée à la vraie liberté devient anarchique, brandissant la liberté absolue pour justifier chaque acte, en érigeant la conscience individuelle comme unique critère de jugement moral de nos actions. On dirait que, dans la société, pour se sentir vraiment coupable, il faut être un serial-killer ! Même là aussi, il y aura toujours de bons avocats et des psychologues experts pour lui trouver des circonstances atténuantes, des excuses pour justifier le crime et qualifier le criminel de coupable mais pas responsable ou l’inverse. On le voit avec le procès en cours sur les attentats à Paris. Dans notre société libérale, au sens moral, tout est excusable : l’égoïsme, la médisance, le blasphème, la violence verbale, la calomnie, la pornographie… : ce sont la manifestation de notre liberté.  Tout devient excusable.

Nous en faisons l’expérience à travers le sacrement de réconciliation. Nous allons nous confesser, mais nous trouvons des excuses, des circonstances atténuantes pour notre péché. Nous allons vivre le sacrement de réconciliation en préparant notre plaidoyer, pour réduire notre responsabilité et donc notre culpabilité…comme si nous allions au tribunal et que Dieu était un juge. Des exemples qui ne touchent pas mes bons paroissiens, évidemment. « J’ai suis tombé(e) avec ma secrétaire ou mon patron parce que mon conjoint ou ma femme ne me touche plus », ou « parce que nous étions dans une soirée très arrosée et l’alcool m’a fait perdre tout contrôle » « J’étais bourré et je me suis trouvé dans ses bras !» « Mais pourquoi as-tu accepté d’être bourré ? Mais parce que j’étais obligé d’aller à cette soirée organisée par le CE, entre collègues, le but était de resserrer les liens !»  Nous sommes presque passé du Team boosting, du team building au Team Killing ! Ou encore : « Je n’ai pas été à la messe parce que je me suis couché tard et j’étais fatigué ». Et pourquoi tu t’es couché tard ? Parce que je suis resté devant ma série préférée jusqu’à 3h00 du matin ». Je caricature, mais c’est un mécanisme psychologique classique de se trouver toujours des excuses !

Dans la Bible, le péché est un péché comme tel, un mal qui fait mal à Dieu, à soi-même et aux autres. Le péché nous coupe de Dieu, source de notre vie, blesse ceux qui nous entourent, et surtout, le péché nous défigure parce qu’il nous empêche de rester ce que Dieu a voulu : des chefs d’œuvres créées à l’image de Dieu.

Et pourtant, même empêtrés dans le péché, Dieu ne nous abandonne jamais, son amour nous accompagne et son pardon toujours offert, un don gratuit, une possibilité toujours donnée si nous le désirons, une occasion pour renaitre. Demander ou accorder pardon n’est pas une faiblesse, mais une grandeur qui nous fait ressembler à Dieu. J’entends souvent que ce sont les faibles qui demandent pardon. Le pardon est un acte de grandeur, car l’humilité nous fait grandir. C’est l’orgueil qui nous abaisse !

Je sais aussi qu’il est très difficile de pardonner. Quand on a été très blessé dans ses entrailles, on a besoin d’une grâce particulière, du temps, d’une profonde conversion intérieure, pour pardonner. Il a des choses qui nous paraissent, et qui sont humainement impardonnables. Mais Dieu peut nous donner la grâce de tout pardonner pour revivre, car pardonner nous fait revivre en nous libérant de cette rancœur qui nous pourrit la vie et nous pollue le cœur. Mais on ne peut pas banaliser le pardon. C’est quelque chose de tellement grand, beau, tellement sérieux qu’il demande du temps, du travail et de la patience. Il ne s’agit pas d’une émotion débonnaire, d’un coup de tête.

Saint Matthieu nous explique comment que le pardon qui est la manifestation de l’amour fraternel était vécue par les premiers chrétiens. Pour pardonner à quelqu’un, il faut l’aimer. Pas de pardon sans amour et pas d’amour vrai qui refuse de pardonner. Comme dans nos familles et notre communauté, les premiers chrétiens vivaient aussi des conflits entre-eux une fois passé l’enthousiasme de l’adhésion récente au Christ. Ils se réconciliaient en pratiquant la correction fraternelle dont le but est d’apporter le pardon, la paix au sein de la communauté et susciter la conversion de celui qui se perd. Comment s’y prendre ? Le Christ propose quelques éléments indispensables pour une vraie correction fraternelle : il faut de la discrétion, de l’humilité, de la délicatesse envers qui s’est trompé, lui laisser le temps de réfléchir, puis une intervention de quelques frères. C’est la pédagogie progressive de Dieu. Seulement en dernier recours, faire appel à toute la communauté. Nous sommes très loin de ce qui se fait habituellement dans nos communautés et familles.

Nous manquons assez souvent à ce devoir de correction fraternelle : nous parlons des fautes des autres, avec une certaine satisfaction sadique, sans compassion ni délicatesse. Cela nous permet de nous sentir meilleurs que les autres. Un chrétien ne peut pas se réjouir des péchés des autres, critique des autres dans leur dos, sans faire une démarche de correction fraternelle. Si nous qui reconnaissons les bienfaits et la consolation du pardon dans le sacrement de réconciliation, si nous ne savons pas nous pencher sur le frère blessé par son péché, qui pourra le faire alors ?

Il serait très beau, dans le cadre d’une démarche de correction fraternelle, d’aller voir le frère qui a péché, et lui apporter l’entraide fraternelle à travers la franchise d’une correction fraternelle.  Cela veut dire être exigeant, par amour, pas pour écraser ou humilier l’autre, mais pour l’aider à se relever, et non pas laisser le prochain s’engouffrer en disant que ce ne sont pas mes affaires ! Vivre la correction fraternelle c’est prendre à cœur le destin et le salut de ceux qui nous entourent, sans nous cacher derrière ce respect faux et hypocrite qui n’interpelle jamais, ne fait jamais aucun reproche, mais laisse l’autre s’enfoncer et aller à sa perte. Voilà un programme pour notre paroisse cette année ! Que le Seigneur, en ce début d’année pastorale, nous donne, dans nos familles et notre communauté, d’être prophètes de l’amour, du pardon et de la correction fraternelle. Amen.