Mes cher frères et sœurs

L’événement relaté dans cet évangile se déroule à la frontière entre la Samarie et la Galilée. C’est un récit propre à l’évangile selon saint Luc, que les autres évangélistes n’ont pas rapporté. Saint Luc situe ce récit entre celui du « serviteur quelconque » que nous avons écouté dimanche dernier et le discours eschatologique sur le Règne à venir. Par cette traversée géographique difficile qu’est le passage entre la Samarie et la Galilée, saint Luc nous apprend que dans la traversée de notre vie, le passage de la foi à l’entrée dans le Royaume de Dieu, est un passage tortueux et difficile. C’est notre propre histoire et celle de l’Eglise. Au cours de cette traversée, de la Samarie à la Galilée, il y a une histoire, comme la grande histoire de l’humanité et l’histoire de chacun de nous sont traversées par de petites histoires qui nous nous choquent, nous émeuvent et nous scandalisent…mais qui donnent sens à notre propre histoire.

L’histoire de ces lépreux me fait penser d’abord à l’histoire de toutes les personnes qui sont mises à l’écart, exclues de la communauté, de la société… Pensons à certaines personnes âgées isolées, privées de contact extérieur et mourant parfois de solitude. Me reviens à l’esprit cette dame, Micheline Emile, dont j’ai célébré les funérailles à Lardenne mercredi après-midi : sans famille, j’étais seul devant son cercueil, avec 4 membres de l’équipe des funérailles… et seulement deux personnes d’une société des pompes funèbres musulmanes qui devaient ensuite rapatrier son corps pour être enterré en Algérie, car bien qu’elle soit chrétienne, elle était mariée à un algérien et avait deux enfants tous morts et enterré en Algérie. Aucun ami, aucune connaissance ! Mourir dans une grande solitude.  Je pense aussi aux personnes exclues parce que pauvres, chômeurs, vivant avec un handicap, ou des gens simplement différents par la race, la culture, la religion… C’est l’histoire d’une petite collégienne de 6è qui doit manger seule au self du collège parce que personne ne veut se mettre à côté d’elle parce qu’une bande d’élèves (déjà en 6è !) lui font subir un horrible harcèlement.

C’est l’histoire des lépreux de l’évangile qui, tout en vivant dans un village habité, sont pourtant séparés des autres villageois et tenus à bonne distance. Cette distance de séparation prescrite par la Loi de Moïse, devenue une sorte de mur de séparation, une Loi qui, paradoxalement, tout en défendant certaines personnes, en exclut d’autres. Cette image est très actuelle : nous habitons la même planète, le même monde globalisé devenu un grand village, mais nous sommes séparés les uns des autres, parce que nous cohabitons dans la séparation, les uns à côté des autres à cause des différentes lèpres qui provoquent des multiples blessures sanitaires, sociales, économique, psychologiques, religieuses et politiques… Mais les conséquences de certaines catastrophes comme la guerre en Ukraine, le réchauffement climatique nous rappellent que nous sommes dans une même maison, embarqués dans la même barque même si nous cherchons à nous séparer en construisant certains murs entre-nous.

C’est la société, c’est-à-dire nous-mêmes, qui produisons ces lèpres portant divers noms : l’exclusion, pauvreté, misère, famine, hérésie, idéologie, race, intégrisme, guerre, immigration… Il y a une longue liste des situations, des dynamiques, de structures, d’implications devant lesquelles un chrétien ne peut rester indifférent, car cela nous touche, de près ou de loin, qu’on le veuille ou non.

Toutes ces lèpres nécessitent d’abord un cœur, des tripes, avant les politiques et stratégies. Une politique qui ne regarde pas l’humain dans ses yeux, ses malheurs, ses larmes et ses cris, est vouée à l’échec. Nous devons revenir à la vérité de l’homme dans sa simple capacité relationnelle : la relation du cœur, la compassion, la tendresse, la miséricorde…La relation du cœur, comme le rappelle souvent le pape François, est plus efficace que tous les devoirs, politiques et stratégies étudiées dans les plus grands bureaux. C’est cette relation du cœur que Jésus nous montre dans l’évangile d’aujourd’hui.

Il entre dans un village et y rencontre un monde des gens séparés. Dix (10), c’est nombre exigé pour former une communauté synagogale dans l’AT. Il y a donc ici une communauté religieuse des lépreux qui vivent dans un village, mais qui en est séparée, comme une église vivant dans un monde dont elle a pourtant pris ses distances, en refusant de vivre son histoire et ses expériences. C’est une Eglise malade qui pourtant connaît Jésus, l’appelle par son nom, l’appelle « maître » et crie à haute voix comme nous, dans le rite pénitentiel, au début de la messe « pitié Seigneur ». Cette prière faite à haute voix demande seulement la pitié, pas la guérison. Cette communauté des lépreux ne demande pas la communion. Au contraire, en criant, elle respecte la règle de la distance, même avec Jésus.

Saint Luc nous dit qu’à peine vus, Jésus les envoie voir les prêtres à Jérusalem. C’est-à-dire que Jésus demande aux lépreux de poser un geste interdit par la Loi. Les lépreux doivent faire un forcing interdit : se présenter aux prêtres alors qu’ils sont toujours chargés de la lèpre qui les rend impurs et qui leur demande de ne pas s’approcher des gens normaux.  C’est un beau message que nous livre Jésus à travers cet ordre.  N’attendons pas d’être beaux, propres, sains et saints, purs, parfaits…pour nous mettre en route.  « Je suis venu pour les malades et les pécheurs » nous dit Jésus. Et c’est en route, en chemin que les dix lépreux sont purifiés et guéris de leur lèpre !

Les lépreux sont guéris, non pas parce qu’ils ont demandé la pitié, mais parce qu’ils ont accepté de se mettre en route pour aller à Jérusalem en obéissant à la parole donnée par Jésus. La dynamique de la vie est revenue dans ce monde des « séparés, des exclus, des prisonniers volontaires d’un village, prisonniers de la Loi, de leur infirmité ». Cela s’est produit parce qu’ils ont fait confiance ! Notre monde aurait un autre visage si les peuples, les cultures, les religions se faisaient mutuellement confiance, en acceptant de s’approcher les uns des autres sans préjugés.

Cet évangile finit par un paradoxe, à la fois beau et douloureux. Tous les dix lépreux sont guéris sur leur chemin, mais un seul revient sur ses pas. Ce dernier est un étranger, un samaritain considéré comme hérétique dans le judaïsme ! Il revient sur ses pas pour rendre grâce. Cet étranger à la foi juive reconnaît l’intervention de Dieu dans son histoire personnelle. Pour lui, être purifié, reprendre sa place en société et dans la religion ne suffisent pas : il sent le besoin infini de grâce et de louer Dieu par sa vie. Il revient sur ses pas et se jette aux pieds de Jésus pour manifester sa gratitude.

Par ce geste, le Samaritain purifié a brisé la distance et la séparation qui le liait au groupe de dix mais le séparait du salut en touchant les pieds de Jésus. Les autres 9 sont toujours en route vers Jérusalem. Ils sont purifiés, soumis à la Loi, ils ont peut-être rejoint le temple de Jérusalem et ont rencontré probablement les prêtres…. Peu importe ! Ils ont pourtant perdu la relation avec le Seigneur. Seul le Samaritain, en revenant sur ses pas, a retrouvé la relation avec Jésus. Il a compris que ce qui compte et donne sens à son histoire c’est d’être avec le Seigneur.

Nous sommes aujourd’hui, nous aussi, mis directement devant des nouvelles manifestations de la même lèpre, pour nous même et pour les autres, avec tous ces étrangers de religion, de culture, de peau, de statut social, de niveau intellectuel, d’appartenance ecclésiale ou communautaire… N’oublions jamais que tous ces étrangers que nous sommes, vous et moi, ceux d’ici et ceux d’ailleurs, sont devenus nos voisins dans ce monde globalisé.  Demandons au Seigneur d’ouvrir nos yeux à toutes les formes de séparation, de division et d’exclusion.  Que le Seigneur nous donne de ne pas construire ni entretenir des murs de séparation, mais d’avoir le courage de les briser en construisant des ponts entre les personnes et les peuples. Seigneur, guéris-nous de toutes ces lèpres qui nous séparent. Amen