Mes chers frères et sœurs !

Dimanche dernier, nous avons parlé des impôts au Trésor Public, de laïcité véritable prônée par Jésus qui invitait à « rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ». Aujourd’hui, Jésus rappelle le primat de l’amour sur la Loi : l’amour envers Dieu et envers le prochain qui doit être au cœur de notre vie personnelle, familiale et ecclésiale.

L’amour de Dieu et du prochain est un binôme qu’on ne peut séparer. L’amour de Dieu n’est pas seulement le paradigme ou le modèle de l’amour du prochain. Il en est aussi la raison, l’origine, la source et le fondement. Le chrétien devrait aimer son prochain, quel qu’il soit, parce qu’il aime Jésus-Christ. Je ne peux aimer le prochain que parce que je me sais déjà aimé par le Christ, car pour aimer les autres, il faut se savoir aimé d’abord. Celui qui se croit mal-aimé aimera difficilement les autres. Vous verrez comment les gens qui sont frustrés en amour, sans ami, mal aimés en famille… et qui ont du mal à être aimant et aimables avec les autres, au travail comme en communauté. Vous verrez ces gens très durs avec les autres en se disant « qu’on me déteste pourvue qu’on me craigne »… parce qu’ils pensent qu’on ne les aime pas ! Même les psys le disent. Convaincu d’être aimé de Dieu de manière inconditionnelle, je peux alors me tourner vers les autres et les aimer moi aussi, car l’amour du Christ déborde en moi pour jaillir sur les autres.

C’est le syllogisme logique de l’amour chrétien. C’est cela que nous rappelle saint Jean « Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l’amour vient de Dieu. Celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour. Voici comment l’amour de Dieu s’est manifesté parmi nous : Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde pour que nous vivions par lui.  Voici en quoi consiste l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés, et il a envoyé son Fils en sacrifice de pardon pour nos péchés. Bien-aimés, puisque Dieu nous a tellement aimés, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres » (1Jn, 4, 7-11)

Si l’amour du Christ n’était pas la source de notre amour, nous serions dans l’habituelle distinction-séparation entre les gens que nous pouvons ou devons aimer d’un côté, et de l’autre côté, ceux que nous ne sommes pas obligés d’aimer et qui ne méritent pas notre amour. Vous savez que nous avons humainement dix mille raisons objectives et subjectives de haïr et ne pas aimer certaines personnes.

Tu penses à ton frère, ta sœur, ta tante, ton oncle qui t’a arnaqué au partage de l’héritage des grands-parents ou des parents, profitant d’un moment de faiblesse pour faire signer un testament contestable. Tu as du mal à l’aimer, et tu as raison humainement. Nous sommes témoins de tels déchirements en accompagnant les familles en deuil. Un fourbe-rusé comme celui-là, il n’est pas possible humainement de l’aimer. Tu penses à ce (ou cette) collège qui t’a piqué le poste dans l’entreprise en fayotant ou en faisant les beaux yeux au manager ! Tu occupais ce poste depuis plus de 10 ans, tu n’as pas failli et as atteint tous les objectifs, mais ce poste lui a été donné parce qu’il ou elle est pistonné (e), protégé (e), parachuté (e) par quelqu’un, parce que fils ou fille de quelqu’un là-haut. Pense à ton curé, à ce prêtre de ta paroisse dont tu penses, à tort ou à raison, qu’il déconstruit de que tu as mis en place depuis des décennies et dont tu désapprouves la vision pastorale, ou l’autre dont la soutane te donne presque mal au ventre ou un ulcère à l’estomac ! Pense à ton voisin retraité qui tond la pelouse exactement au moment où ton bébé doit faire sa sieste…. Vous pouvez poursuivre cette litanie des gens que nous trouvons objectivement, subjectivement, humainement détestables.

Heureusement que le Christ nous a aimé le premier ! Sommes-nous de cet Amour qui nous vient d’abord de Dieu, plus grand que tout autre amour, et qui suscite et soutient nos relations amoureuses ? Saint Jean connaît cependant les pièges, les contradictions et l’hypocrisie de la rhétorique de l’amour humain, qui dit parfois l’amour et son contraire. Il nous met en garde : « Si quelqu’un dit : « j’aime Dieu », mais qu’il hait son frère, celui-là est un menteur. Celui qui n’aime pas son propre frère qu’il voit ne peut pas aimer Dieu qu’il ne voit pas. Et voici le commandement que nous tenons de lui : celui qui aime Dieu, qu’il aime aussi son frère » (1Jn4, 20-21). Et encore il nous dit, « mes enfants, aimez-vous, non pas avec des discours et des paroles, mais en actes et en vérité ».

Un amour pur envers Dieu est un concept abstrait, et pire encore, c’est une illusion s’il n’est pas concret. L’amour envers Dieu doit s’incarner comme Dieu lui-même s’est incarné en prenant notre humanité pour nous montrer combien il nous aime. Ainsi, il nous rappelle que notre amour doit être concret. En chacun de nous, il y a ce besoin profond d’amour, d’être aimé. On ne peut pas se passer de l’amour des autres. Sans amour, notre vie est vraiment triste. Celui qui veut se passer de l’amour des autres se condamne forcément à la tristesse. Nous avons été créés comme êtres de relations et c’est dans la relation que nous nous réalisons.

Cela vaut aussi pour les prêtres, religieux et religieuses ! J’ai été interpellé par le fait que quand vous regardez la vie de certains prêtres, religieux ou religieuses, vous avez parfois l’impression de voir des gens sans cœur, incapables d’éprouver un minimum d’affection, d’avoir de masses de pierre devant vous. Le pape François disait un jour à des religieuses lors d’une audience à Rome que celles-ci ne devaient pas donner l’impression d’être tristes comme des vieilles filles aigries, mais d’être heureuses comme des mères grâce à la maternité spirituelle de leur cœur. Cela vaut pour les consacrés, mais aussi pour les fidèles laïcs : nous voyons parfois des gens, même dans nos églises, et nous nous demandons si leur cœur est de chair ou de marbre, s’ils sont capables de ressentir et d’exprimer un peu d’amour aux autres !

L’évangile de ce dimanche me fait penser au chap 25 de Matthieu dans lequel le Christ nous parle de sa venue dans la gloire pour le Jugement Dernier : Jésus dit aux uns et aux autres : « Ce que vous avez fait ou n’avez pas fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ou à moi non plus que vous ne l’avez fait ». C’est concrètement que nous manifestons notre amour ou non-amour envers Dieu.

L’incarnation du Christ nous dit que Dieu a pris chair pour révéler son amour, un amour qui souffre, pleure, rit, qui a connu la fatigue, a supporté les déceptions, la fuite des disciples, la trahison de Judas, le reniement de Pierre, a souffert des calculs pervers de la politique et de la religion, l’ambiguïté des alliances, la violence physique et morale…. Mais cet Amour-Dieu s’est donné jusqu’au bout ! Notre amour pour Dieu doit prendre corps, s’incarner à travers les visages donnés et concrets dans l’entourage familial, ecclésial, professionnel… Notre amour est appelé aussi à se donner jusqu’au bout, même si les conditions humaines familiales, professionnelles, sociales, ecclésiales y sont parfois défavorables.

Je vous propose un effort spirituel pour la semaine : penser à la personne (une seule) que nous détestons le plus ou que nous n’aimons pas assez (nous en avons tous, même moi qui vous parle) et poser un geste d’amour envers cette personne : un appel, un mail, un texto, une invitation à déjeuner, une salutation, petit sourire au travail, un mot gentil, un compliment…! Cela nous coûtera certainement. Demandons cette grâce au Seigneur pour nous y aider ! Ce n’est seulement par ces petits ou grands efforts que nous apprenons à aimer en vérité et concrètement ! Amen.