De l’exercice de la prudence spirituelle…

Sg 6, 12-16; Ps 62; 1 Th 4, 13-18; Mt 25, 1-13.

Il y a 10 jours, nous apprenions avec effroi et horreur que trois personnes avaient été égorgées à Nice, simplement parce qu’elles allaient prier dans une église. L’ignoble, une fois de plus. Dans la foulée, nous apprenions évidemment que le plan vigipirate était rehaussé, et que les églises allaient être surveillées pour le weekend de la Toussaint. D’un coup, on se redisait que ça pouvait être dangereux d’être catholique, d’aller prier dans une église. La peur irrationnelle pouvait resurgir…

Pensant à cela, je me suis posé une question : suis-je prêt ? Si je dois mourir maintenant, suis-je prêt ? Mon âme est-elle prête à aller à la rencontre de l’époux ? La devise des scouts, c’est Toujours prêts. Ils apprennent, cherchent à être toujours prêts. Prêts à se mettre en route, prêts à servir, prêts à faire ce que Dieu leur demandera. Ça n’est pas toujours évident, mais ils essaient de faire de leur mieux. Et moi, me suis-je dit, suis-je prêt ? Rapidement j’ai passé en revue quelques points capitaux : à quand remonte ma dernière confession ? fidélité à la messe ? Mon âme s’est-elle plongée dans la prière ? Ai-je résisté aux péchés mortels, ces péchés qui anéantissent la charité et donc mon union à Dieu en mon âme ? Et la charité justement, le service des autres, ont-ils suffisamment façonné mon âme ? Sur certains points, je pouvais répondre facilement par l’affirmative, mon âme avait reçu les grands dons de Dieu qui unissent à lui. Pour d’autres points, plus difficile… Alors je me suis dit : À la grâce de Dieu !, confiance, c’est l’Esprit Saint qui fera la préparation nécessaire au moment venu. Difficile d’être toujours prêt…

Pourtant, c’est bien ce à quoi nous invite Jésus par cette parabole. Veillez, car vous ne savez ni le jour ni l’heure. Si bien sûr il faut s’en remettre à la grâce de Dieu, à l’œuvre de l’Esprit Saint, Jésus nous invite à prendre l’exemple des vierges sages ou avisées. Ces vierges avisées ont ce que les Grecs appellent la phronesis, un aspect de la sagesse, si bien dépeinte dans la première lecture. Il s’agit de ce qu’on appelle classiquement la vertu de prudence. C’est la vertu qui nous permet de discerner, choisir les bons moyens pour atteindre un objectif. Par exemple, pour les vierges, être avisées ou exercer la vertu de prudence, c’est choisir les bons moyens pour attendre l’époux quand on ne sait pas l’heure de sa venue : il faut donc une lampe, mais aussi de quoi la recharger. Pour nous, si nous regardons le grand but de notre vie, la sainteté – afin de rejoindre l’immense foule des saints au ciel –, nous devons exercer la vertu de prudence pour choisir les bons moyens afin d’être des saints. Et là, chacun peut réfléchir : déjà, est-ce que la sainteté est bien le but profond de ma vie, et ensuite, est-ce que vraiment je choisis les vrais et bons moyens pour cela ? Est-ce qu’en permanence je cherche à être prêt pour la grande rencontre de l’époux avec mon âme ? Que ce soit en fait lors des rencontres quotidiennes, ou lors de la rencontre ultime dans la mort. Est-ce que j’ai toujours avec moi l’huile nécessaire pour que la flamme divine ne s’éteigne pas ? Cette huile, c’est l’onction de l’Esprit Saint, l’onction de la charité, reçue par tant de moyens divins…

Et cette vertu de prudence, nous avons, je crois, à l’exercer de manière spéciale pendant ce temps de confinement. La même question se pose : comment est-ce que je reste disponible pour accueillir l’époux ? Sachant que le contexte est plus difficile, sachant que vous êtes privés de ce trésor inestimable et vital qu’est l’eucharistie, mais aussi de toute forme de prière et vie communautaires. Exercer la vertu de prudence dans ce temps, c’est prendre les bons moyens pour traverser cette période dans le Christ, sans succomber à la peur, en cherchant toujours à faire grandir la vraie vie. Permettez-moi de donner quelques conseils pour éclairer votre exercice de la prudence. D’abord il faut pleurer, parce que le plus grand moyen vous est interdit, parce que vous ne pouvez pas participer à la Sainte Messe, alors que l’eucharistie est source et sommet de la vie chrétienne, nourriture par excellence de notre âme. Et puis, au-delà des larmes, en ayant en mémoire qu’il ne faut pas être abattus car nous avons une espérance comme dit saint Paul, il faut chercher les autres moyens, en se rappelant que l’eucharistie signifie action de grâce. Il faut donc vivre l’action de grâce autrement, en demandant au Seigneur de se donner avec la même force malgré tout. Vivre la communion spirituelle, vivre l’action de grâce, ça peut consister à s’unir à la louange de l’Église par la prière de la liturgie des heures. Ça peut être de vivre des temps de louange en famille, de prier le chapelet, d’aller prier devant le tabernacle dans l’église la plus proche, d’aller voir un prêtre pour se confesser et donc rendre grâce pour la miséricorde du Seigneur, de leur demander la communion surtout si on est malade, de lire la Parole de Dieu. Et c’est aussi, bien sûr, par la bienveillance et les petites attentions dans les foyers : les parents entre eux, mais aussi vis-à-vis de leurs enfants, et les enfants vis-à-vis de leurs parents. C’est chercher chaque jour quels sont les petits services qu’on pourra rendre. Chez soi, ou autour de soi. Bref, vivre la charité au quotidien.

Frères et sœurs, soyez sages, avisés, prudents pendant ce confinement. Que vos foyers soient toujours prêts à accueillir le Seigneur. Que vos âmes soient des trônes permanents pour lui, en particulier dans l’attente de votre prochaine communion.

Amen.