Mes chers frères et sœurs !

En ce premier dimanche de Carême où la liturgie de la Parole, et plus particulièrement l’Evangile nous parle des tentations, je voudrais vous faire une confidence en vous parlant de certaines de mes propres tentations. Oui, dans ma vie quotidienne, je me bats sans cesse contre certaines tentations. Attention, je ne vais pas vus déballer toutes mes tentations ! La litanie serait très longue, comme ces amis qui me disent que pour les confesser, je dois prendre toute une journée, tellement ils ont péché et ça fait tellement longtemps qu’ils ne se sont pas confessés ! Pour faire court, je vous parlerai seulement d’une seule de ces tentations contre lesquelles je dois me battre très régulièrement. Si vous êtes honnêtes, vous savez que vous avez tous une grande tentation que vous devez trainer comme un boulet dans votre vie quotidienne :« Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre » avait dit Jésus aux bourreaux de la femme adultère ! Et vous, que celui qui n’a jamais eu ou n’a pas de tentation soit le premier à me jeter la première pierre…!

Certains parmi vous s’attendent déjà à la bombe de l’année ! Quel va être le scoop de Carême ! Qu’est-ce que le père Joseph va nous sortir !!! Quel scandale qui risque de nous éclabousser et blesser une Eglise déjà défigurée par les péchés de ses enfants, de ses ministres ?  En effet, cette tentation dont je souffre va vous éclabousser vous aussi ! La grande tentation, dont je souffre régulièrement, prêtre de mon état, c’est celle vouloir choisir dans la Parole de Dieu seulement ce qui me convient. C’est tellement gros que j’en ai fait l’amère expérience ce weekend quand j’ai commencé à préparer l’homélie de ce dimanche.

En effet, en prenant mon Missel de dimanche, pour la préparation, je savais déjà, par expérience de quelques années de ministère, que chaque année, le premier dimanche du Carême nous donne de contempler les tentations de Jésus au désert. Mais quand j’ai ouvert la Parole de Dieu, j’ai remarqué que certains détails importants que je connaissais par cœur et auxquels je tiens beaucoup ne se trouvaient pas dans l’évangile de Marc qui nous accompagne pendant cette année B, cet évangile tellement bref qu’il ne donne pas beaucoup de détails. Et pourtant, j’aime les détails dans la Parole de Dieu, et ne pas retrouver ces détails auxquels je tiens m’a un peu déstabilisé…. Le Seigneur me rappelle là qu’il faut que je lâche prise pour le laisser parler Lui, car dans la Bible, c’est Dieu qui nous parle, comme il veut, comme cela lui convient, pour notre bien, même si nous sommes parfois tentés de faire le tri dans la Bible pour ne retenir que ce qui nous convient et va dans notre sens.

Les trois évangiles synoptiques (Marc, Matthieu et Luc) nous parlent tous des tentations de Jésus dans le désert, quand il y est emporté par l’Esprit après son baptême. Nous connaissons par cœur les détails donnés par saints Luc et Matthieu. Mais saint Marc a oublié de donner ces détails ! Certains ont accusé Marc d’être paresseux ou de vouloir aller trop vite ! Au lieu de nous expliquer les choses, il nous donne un résumé minimal : dans son évangile, toutes les tentations de Jésus au désert sont résumées en un seul verset « Jésus venait d’être baptisé. Aussitôt l’Esprit le pousse au désert et, dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan ! »   Rien sur le contenu des tentations !

Quel contraste avec Luc et Matthieu ! Ceux-ci nous font une véritable mise en scène.  On dirait même qu’ils voudraient nous faire vivre le film sur les tentations, avec une mise en scène comme la comédie musicale de Pascal Obispo « Jésus, de Nazareth à Jérusalem » à laquelle j’ai eu la joie, invité par des paroissiens, il y a quelques années, au Zénith de Toulouse. Chez saints Luc et Matthieu, nous trouvons de très beaux détails qui nourrissent notre imaginaire, détails qui nous émeuvent et nous parlent. Le dialogue entre Jésus et Satan, ce Diable convaincant, pertinent, fin connaisseur des Ecritures, meilleur que tous ces prêtres et ces cathos qui ne retiennent rien de la Parole de Dieu seulement parce que nous ne la lisons pas suffisamment !

Eh oui, c’est dramatique et triste, mais c’est la réalité : les enquêtes prouvent que par rapport aux autres confessions chrétiennes, et les protestants en particuliers, les fidèles catholiques sont ceux qui lisent le moins la Parole de Dieu. Bref, saints Luc et Matthieu nous présentent une scène dramatique, des éléments et détails scénographiques spatio-temporels qui ne laissent pas indifférents : d’abord le désert, puis le haut du temple de Jérusalem, puis au sommet d’une montagne, avec toute leur symbolique dans la Bible. Et puis, la défaite de Satan, avec la promesse de revenir encore le moment venu, plus armé et plus convaincant pour faire sa revanche… au Jardin de Gethsémani.

Dans la discussion entre Jésus et Satan, Luc et Matthieu nous soulignent cette connaissance impressionnante de la Parole de Dieu par cœur, par Satan, et la résistance de Jésus qui puise ses réponses lui aussi dans la Parole de Dieu. Ces deux textes nous laissent des versets qui sont restés comme des slogans, de devises, tels quel, « l’homme de vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu », « Jette toi car il est écrit que Dieu enverra ses anges qui te porteront sur leurs mains de peur que ton pied ne heurte une pierre » « Tu ne mettras pas à l’épreuve le seigneur ton Dieu. » Tout ceci est absent de l’évangile selon saint Marc que nous venons d’écouter en ce premier dimanche de Carême de l’année B. D’où la tentation très forte de penser, comme il m’est souvent arrivé, que le récit raconté par saint Marc nous dit et nous apprend très peu de choses sur Jésus et les tentations qu’il a affrontées au désert et dans sa vie, tentations que nous devons affronter, nous aussi, dans notre quotidien.

Telle est la grande tentation que je dois combattre avec vous : celle de penser que certains passages de la Bible sont peu utiles, très peu intéressants et moins incisifs. Du coup, nous sommes parfois tentés d’aller chercher des récits à notre image et à notre ressemblance, ceux qui nous conviennent et qui nous font plaisir. Je me rappelle encore en automne d’une réunion que nous avions entre Cléophas, aumôniers et responsables des Scouts et Guides de France de plusieurs Territoires de France, en Visio sur Zoom pour parler de conversion écologique ou d’écologie intégrale dans le mouvement. Au cours de la réunion quelqu’un, de Haut de France, prend la parole (Dieu merci je ne connais pas) dit qu’il fallait bruler la Bible, et en particulier l’Ancien Testament car la Bible est contre l’écologie, d’après lui. Imaginez-vous le choc ! Il fallait se maîtriser pour ne pas montrer ma colère ! Nous étions tous choqués ! Ou bien ce monsieur ne lisait pas bien la Bible, ou bien pour lui l’écologie est simplement une idéologie. Il s’est rendu compte de l’énormité de ses propos qu’il a quitté la réunion sans dire au revoir. C’est tellement facile derrière un écran !

Bref, quand on prend la Parole de Dieu, on s’adresse parfois à Dieu comme à sa secrétaire en lui demandant un texte à relire, à valider, à corriger avant de l’expédier… mais avec la forme et le fond que nous avons presque décidés au préalable… Je me rappelle d’une préparation de la veillée pascale dans une paroisse où une dame de l’équipe liturgique voulait enlever la lecture du livre de l’Exode relatant la « traversée de la Mer Rouge » parce que ce texte lui paraissait trop violent, aux antipodes de l’image qu’il se faisait de Dieu !

Cette tentation de faire le tri dans la Parole de Dieu est l’une que nous sommes appelés à combattre pendant ce temps de Carême où l’Eglise nous appelle à accueillir la Parole de Dieu telle qu’elle nous est donnée chaque jour ! Ce n’est pas nous qui la choisissons. Elle n’est pas à notre mesure, ni à notre image. Par et à travers elle, c’est Dieu lui-même qui nous parle et qui nous appelle à la conversion. Je vous propose, par exemple, en ce temps de Carême, comme le fait déjà un paroissien qui s’en est ouverte à moi, à prendre les 4 évangiles pour en faire une lecture continue, en nous arrêtant un peu plus sur les pages les plus ardues, les plus difficiles, celles qui nous semblent les plus déplaisantes et plus dures à méditer…. Le Carême nous invite à écouter ce que Dieu nous dit, même si cela ne nous fait pas plaisir et ne nous convient pas. Luttons contre la tentation de « nous faire un Dieu à notre image et à notre ressemblance », un Dieu que nous maîtrisons et que nous arrivons à contrôler, à mettre à notre service.

En ce temps de Carême où nous sommes appelés à lutter contre toutes les formes des tentations, luttons contre celles qui nous poussent à utiliser Dieu à nos fins humaines et égoïstes pour lui imposer notre domination. Luttons contre celle de nous approprier la Parole de Dieu et de ne l’écouter que quand elle nous convient sans nous heurter, quand elle ne nous trouble pas, quand elle ne nous appelle pas à la conversion, quand elle ne brime pas nos penchants mauvais, quand elle ne recadre pas notre orgueil, notre toute-puissance et notre besoin d’indépendance vis-à-vis de Dieu et des autres. En ce temps de Carême, je recommande à prière de toute la communauté paroissiale pour les 90 catéchumènes du diocèse de Toulouse, dont 6 de notre ensemble paroissial (Béatrice, Gelareh, Laurent, Luc, Paux-Alexis et Ombeline) qui vont vivre l’Appel Décisif cet après-midi à la Basilique Sainte Germaine de Pibrac, afin que la Parole de Dieu puisse les transfigurer, les convertir vraiment, pour qu’ils ressuscitent avec Jésus, le soir de Pâques, à travers le sacrement du baptême ! Amen