Mes chers frères et sœurs !
Ce soir, avec cette célébration du Jeudi Saint, nous entrons dans le Triduum Pascal : pendant ces trois jours, Dieu se révèle à nous en tant qu’Amour. « Dieu est Amour ». C’est cet Amour, que souligne très souvent le pape élu François, quand il appelle tous les chrétiens à ne pas avoir peur d’être une Eglise de la tendresse ! « N’ayez pas peur de la tendresse ! » avait-il dit à tous les catholiques du monde quelques jours après son élection. C’est vrai que nous craignons parfois d’être tendres, de nous laisser toucher par les autres, pour nous protéger. Notre société a besoin de tendresse et d’Amour.
La croix est l’expression plus grande de cet Amour et de cette tendresse de Dieu, car sur elle, Dieu donne sa vie pour nous, dans une fragilité amoureuse, Il nous sauve et nous montre qu’Il nous aime jusqu’au bout, sans rien attendre de retour de notre part, parce qu’il sait que nous sommes faibles et fragiles. Il ne sait nous ne méritions pas le salut, mais il nous le donne gratuitement. Cet Amour s’offrant dans le don total sur croix est déjà manifeste et anticipé le Jeudi Saint, que nous célébrons ce soir. Au cours de la dernière Cène, dans une petite pièce préparée pour la fête, Jésus se livre déjà lui-même à ses disciples de manière complète à travers le don du pain et du vin.
Que se passe-t-il vraiment au cours de la cette Dernière Cène ? Au cours de ce repas, le Seigneur montre son amour pour l’humanité parce qu’Il accepte de s’humilier et nous appelle au service ! Il montre ainsi que ce qui compte dans la foi chrétienne, ce qu’Il attend d’abord de ses disciples et témoins, ce ne sont pas d’abord des discours théologiques d’érudits, de la spéculation, des raisonnements d’intellectuels, mais bien des gestes concrets d’humilité, d’humanité, de tendresse, de miséricorde et d’amour, comme le lavement des pieds. C’est cela qui compte et qui parle plus que tous les discours théologiques ou métaphysiques ! Jésus commence le repas du Jeudi saint par le lavement des pieds, Il se met à genoux devant chacun des disciples, même de Juda, pour leur laver les pieds.
Dans ce geste, il y a de l’amour et de la tendresse ! Il y a aussi le pardon, parce que ce lavement des pieds préfigure déjà le baptême à travers lequel Dieu nous lave et nous purifie. Laver les pieds, c’est toucher ce qu’il y a d’impur chez l’homme : ses pieds qui suent de chaleur, qui sentent parfois mal, qui touchent la poussière, la boue et toutes les saletés, les crottes des chiens et des porcs, la bouse des vaches… Bref, en leur lavant les pieds, Jésus purifie et accorde déjà son pardon à tous ses disciples, un pardon accordé même à Judas qui va livrer, à Pierre qui va le renier, et à tous les autres qui vont l’abandonner. Il s’agit d’une nouveauté surprenante et absolue dans le judaïsme. Personne avant Jésus ne l’avait encore fait ! En effet, laver les pieds de quelqu’un n’est pas une attitude ordinaire et naturelle. On le fait aux bébés, aux personnes âgées ou handicapées. Cela nous parait normal et ordinaire, mais là aussi, nous devons nous interroger sur comment nous le faisons et quelle densité d’amour et de tendresse nous y mettons. Et je pense en ce moment à tous ces gens qui dans nos familles, nos maisons de retraites, nos hôpitaux…posent ce geste d’amour en prenant soin des enfants, des personnes handicapées et des personnes âgées.
Pour nous rendre compte de la nouveauté et du caractère anormal du geste de Jésus que nous allons revivre à travers le lavement de pieds quelques personnes de notre communauté, regardez votre vie de tous les jours. Pensez à votre conjoint, frères, sœurs, enfants, parents, vos amis, vos voisins… : combien de fois avons-nous déjà proposé de leur laver les pieds alors qu’ils sont capables de le faire eux-mêmes ? Ceci montre bien que cet acte est bien un acte anormal. Laver les pieds, c’est bien un acte de folie ! Et notre amour, pour être semblable à celui du Christ a besoin d’un peu de folie. Un saint italien pour qui j’ai une vénétration particulière, Saint Antoine Maria Zaccaria, fondateur des pères barnabites, écrivait à ses confrères : « Courrons comme des fous, non seulement vers Dieu, mais aussi et surtout vers nos frères et sœurs ! » C’est la folie par laquelle Jésus nous aime, en nous lavant les pieds, en s’humiliant devant nous, en donnant sa vie sur la croix, folie pour les Grecs et scandale pour les Juifs.
Chez nous au Congo, il y a la tradition que les conjoints ou les fiancés, les plus souvent possible, se lavent mutuellement les pieds pour rappeler l’amour tendre et l’humilité qui doivent être le fondement d’un couple. Je vous invite à essayer de poser le même geste dans vos maisons, avec ceux et celles que vous aimez pour leur montrer combien vous les aimez ! De même l’amour entre les disciples du Christ doit se manifester dans des gestes concrets. Saint Jean nous rappelle bien que nous devons nous aimer en acte et en vérité, et non pas en parole. Et un artiste Congolais qui nous fait beaucoup danser dit dans une de ses chansons que l’amour n’existe pas et qu’il n’y a des actes d’amour. Cet Amour qui s’abaisse, qui lave les pieds, qui se met à genoux nous guérit de notre orgueil, de nos prétentions, de notre désir de dominer et d’écraser les autres : ce sont là les ennemis de la croissance spirituelle.
L’autre enseignement de la Dernière Cène est le don de son corps et de son sang à travers le pain et le vin. En phénoménologie et comme en amour d’ailleurs, donner, présenter son corps, c’est se donner et se présenter soi-même. Tu me touches en touchant mon corps, c’est moi que tu blesses en blessant mon corps. C’est la personne âgée que tu honores quand tu prends soin de son corps fragile et fatigué, avec délicatesse, respect et amour. Normalement, la manière dont un infirmier, un médecin touche le corps du patient est révélatrice du respect ou manque de respect qu’il lui manifeste. Le corps donc, ce n’est pas un objet, mais la manifestation, l’épiphanie, la révélation, je dirais même le sacrement, c’est-à-dire le signe visible et efficace de notre être profond, même si le corps ne dit pas tout de l’être humain.
En donnant son corps et son sang dans le pain et le vin, le Seigneur Jésus se donne lui-même totalement à nous. Dans le pain et le vin que nous recevons dans chaque eucharistie, et que nos catéchumènes vont recevoir pour la première fois lors de leur baptême dans la nuit de Pâques, c’est le Seigneur lui-même qui descend pour se donner à nous. Nous entrons dans une Alliance nouvelle avec Lui, nous entrons en communion avec Lui et Il attend de nous de le laisser transfigurer nos vies. Quand Il est sur notre pomme main, dans notre bouche, rendons-nous compte de l’humilité de Dieu qui se met à notre portée, par amour, pour nous diviniser ! Quand l’hostie consacrée est sur l’autel, dans l’adoration eucharistique comme nous allons le faire toute cette nuit, nous contemplons le Seigneur Lui-même présent réellement dans le pain. Peu importe ce que nous allons lui dire : pleurer, rire, danser comme David devant l’Arche de l’Alliance, être là simplement dans le silence, méditer, chanter. Ce qui est plus important, c’est d’être là, simplement présent, comme à côté de celui ou celle qu’on aime, et prendre conscience que nous sommes débout, assis, à genoux devant le Seigneur qui s’est mis le premier à genoux, qui s’est humilié en nous lavant les pieds et en se donnant à nous.
Puissions-nous, mes chers frères et sœurs, redécouvrir la grandeur de l’eucharistie ! Puissions-nous nous arrêter un moment, sortir de la routine avec laquelle nous célébrons l’eucharistie, de cette manière mécanique avec laquelle nous recevons parfois le corps du Christ comme s’il s’agit d’une simple habitude ! Puissions-nous, après la messe, rendre grâce pour cet Amour reçu pour en devenir témoins dans notre quotidien ! Que l’eucharistie de ce jour renouvelle notre foi et produise en nous des fruits d’Amour et d’humilité pour le Seigneur, pour l’Eglise, pour les prêtres qui nous permettent de recevoir les sacrements, en particulier l’eucharistie, pour nos catéchumènes et pour notre monde. Amen.