Chers frères et Sœurs,
Nous voici réunis pour célébrer l’Eucharistie en ce jour particulier qu’est le Jeudi Saint ; jour où nous faisons précisément mémoire de l’Institution de l’Eucharistie. Nous faisons mémoire de la Sainte Cène, c’est-à-dire, le dernier repas que Jésus prit avec ses apôtres. Mais bien plus qu’un repas, nous fêtons l’Amour d’un Dieu qui se donne en nourriture pour la vie éternelle. Il nous dit en effet, « celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ».
Ce qui est au cœur du jeudi saint est un acte finalement habituel, banal, normal, naturel si on ne le considère que sous aspect externe : l’acte de se restaurer, de manger est tellement naturel. Jésus prend deux choses de la vie courante, de l’alimentation de base que tout juif pouvait se procurer : du pain et du vin. Mais ces deux éléments ont une signification très importante dans la culture et dans la foi juive.
Dans le livre de l’Exode, Dieu donne au peuple hébreu des instructions autour du repas pascal par la bouche de Moise et d’Aaron : prendre un repas avant qu’il se mette en route pour sa libération. Un agneau sans tâche ni défaut sera immolé au coucher du soleil. Le peuple marquera les linteaux de la porte de la maison avec son sang. Il consommera sa chair avec des pains sans levain et des herbes amères alors qu’il sera rassemblé en maisonnée. Ceinture aux reins, sandales aux pieds, bâton à la main. « Vous mangerez en toute hâte : c’est la pâque du Seigneur. Ce jour-là sera pour vous un mémorial. Vous en ferez pour le Seigneur une fête de pèlerinage. C’est une loi perpétuelle. D’âge en âge vous la fêterez ! »
Osons faire un parallèle avec la libération que le Christ apporte au genre humain ! Au jardin d’Eden, Adam et Eve avaient mangé le fruit défendu et avait été chassés du jardin. En Egypte, le peuple hébreu mange un agneau immolé et il est chassé par le pharaon, mais libéré de sa terre de servitude par Moïse. Ces deux repas inaugurent des changements décisifs sauf que dans le deuxième, il s’agit d’une libération et d’une œuvre de Dieu.
Nous comprenons mieux alors que l’Eucharistie est, elle aussi, un repas qui inaugure un changement décisif. Elle est le point d’entrée dans la Passion pour Jésus. C’est au cours d’un repas que Judas va s’en aller pour aller trahir son Maître ? Et pour nous chrétiens, l’eucharistie, c’est-à-dire la messe, est le point d’entrée dans la vie de Dieu parce que nous y célébrons le sacrifice de l’Agneau immolé pour nous, Jésus, sacrifice qui nous réconcilie avec Dieu et nous donne d’entrer en communion profonde avec Lui. L’eucharistie est le repas qui nourrit en nous la vie divine reçue à dans le baptême. Et là, ce n’est plus Adam qui mange au jardin d’Eden, mais c’est bien le Nouvel Adam qui se donne lui-même en nourriture pour nous au cours de la messe.
La messe (eucharistie) opère un changement profond en nous, chaque fois que nous y participons. Dans chaque messe, Jésus qui est réellement présent nous touche. L’eucharistie touche notre être profond, mais elle ne supprime pas, comme par magie, nos défauts. La grâce de l’eucharistie ne supprime pas notre nature. Après l’avoir reçu, il nous faut encore collaborer à notre propre guérison, il nous faut un engagement pour qu’Elle transforme nos vies en offrande pour le monde. Pour illustrer, les apôtres après avoir reçu pour la première fois le corps et le sang des mains du Christ lui-même, plus tard vont quand même l’abandonner. De même, ne nous voilons pas le visage : nous sommes aussi capables de faillir. Nous avons donc besoin d’entretenir de manière continue la vie divine en nous par l’amour qui se donne dans l’eucharistie.
L’Amour du Christ se donne en oblation ! Dans sa lettre aux corinthiens, en parlant de la dernière Cène, saint Paul écrit : « J’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur, et je vous l’ai transmis : la nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. » Après le repas, il fit de même avec la coupe, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. » Oui, ce don est vraiment le sacrifice de sa propre personne. Mais ce don est aussi dans le lavement des pieds. Par ce geste hautement symbolique transparait un amour qui se donne dans le service, en toute humilité et surtout sans hypocrisie. La transformation que l’Eucharistie doit opérer chaque fois en nous doit nous donner un cœur qui aime en actes, concrètement, un cœur qui accepte de servir, de se donner aux autres et pour les autres, en toute humilité.
Alors, demandons-nous : de quelle manière rendons-nous service, quel est l’esprit qui caractérise nos genres de service ? Prêtres, religieuses, parents, époux, enfants, catéchistes…, dans ma responsabilité professionnelle. Mieux quel est l’impact réel de l’eucharistie, quel changement opère-t-elle, dans nos relations familiales, ecclésiales, personnelles, interpersonnelles, professionnelles ? Car Jésus nous dit : « Si moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous ».
C’est un commandement nouveau que nous recevons du Seigneur aujourd’hui ! Il est urgent que chacun de nous le mette en pratique. A l’issue de cette liturgie, il nous faut urgemment nous engager sur cette voie du don et du service car si nous voulons être de témoins véridiques du fait que Jésus nous a lavé les pieds et s’est donné en nourriture pour nous. Nous devons nous donner à notre tour et nous laver les pieds les uns les autres, en faisant comme Lui, c’est-à-dire rendre à nos frères et sœurs les services dont ils ont besoin ; nous rendre présents auprès des pauvres, des malades, personnes âgées, prisonniers, les malaimés de la société, ceux que saint Vincent de Paul appelle « les cabossés de la vie », etc. Nous sommes témoins et contemporains de Jésus si nous agissons comme Lui et en mémoire de Lui. Laissons son amour irradier et transformer nos relations humaines.
Alors, chers frères et sœurs, entrons dans ce mouvement d’amour qui se donne. Laissons retentir ce commandement nouveau que Jésus nous redonne aujourd’hui. Et pour cela, nourris de l’Eucharistie, suivons Jésus à Gethsémani ; accompagnons-le sur son chemin de croix en souffrant avec lui sa Passion. Ainsi la joie du Ressuscité nous transportera dans un monde nouveau remplie par la lumière du ressuscité.