Mes chers frères et sœurs !

Il y a quelques années, j’étais dans un groupe de partage de la Parole de Dieu. Chaque jeudi, nous nous retrouvions pour partager sur l’évangile du dimanche suivant. Et ce jeudi-là, nous devions partager sur l’évangile de ce dimanche. Lors de nos partages, nous cherchions le sens spirituel de chaque évangile, ce que la parole de Dieu disait et comment elle nous touchait personnellement. Quelqu’un dans le groupe avait proposé, exceptionnellement, de choisir un autre évangile, parce que lui ne voyait pas en quoi cet évangile pouvait le concerner personnellement. Pour lui, cet évangile parlait des autres, surtout pas de lui.

Nous pensons parfois aussi qu’il y a des évangiles qui ne nous concernent pas, ceux qui parlent des autres, les gens que nous pouvons regarder avec suffisance, du haut de notre grande humilité ou de la splendeur de notre spiritualité. Nous sommes tentés de faire un tri dans la Parole de Dieu, de ne prendre que ce qui nous convient et laisser de côté ce qui nous bouscule et nous dérange. Et pourtant, saint Matthieu est précis et direct. Jésus ne s’adresse pas aux incroyants, aux mauvais ni aux païens mais à vous et à moi ses disciples. Alors, si tu es de mauvaise humeur et ne veux pas être dérangé, cet évangile ne te concerne pas. Mais si tu veux te convertir, te remettre en cause, alors, laisse cet évangile bousculer et brûler tes certitudes.

Je fais aussi partie de ceux qui disent mais ne font pas, comme nous dit l’évangile! Ceux qui aiment parler pour être applaudi. C’est peut-être votre cas aussi ! Est-ce que tu vis ce que tu dis ? Est-ce que tu pratiques les grands principes que tu déclames sans arrêt ? Dans le rite de l’ordination diaconale, une monition de l’évêque appelle le nouveau diacre à la cohérence dans son ministère. Il lui dit en effet : « Recevez l’évangile du Christ, que vous avez la mission d’annoncer. Soyez attentif à croire à la Parole que vous lirez, à enseigner ce que vous avez cru, à vivre ce que vous aurez enseigné. » Vivre ce que nous enseignons. Nous savons tous combien nous avons du mal à vivre toujours ce que nous enseignons.

Très souvent, entre la théorie et la vie concrète, il y a un océan. Le pape Paul VI s’adressant aux laïcs en 1974 leur disait : « Les hommes d’aujourd’hui ont plus besoin de témoins que de maîtres. Et lorsqu’ils suivent des maîtres, c’est parce que leurs maîtres sont devenus des témoins ». Donc, aux ministres ordonnés comme aux fidèles laïcs, Jésus nous appelle à la cohérence. Parmi les choses que Jésus ne supporte pas, il y a l’hypocrisie ! Dans les évangiles, Jésus accueille les pécheurs qu’il appelle à la conversion, il mange chez les publicains, les prostituées…que tout le monde pouvait pointer du doigt comme étant des pécheurs de notoriété publique…. mais il ne supportait pas l’hypocrisie des scribes et pharisiens, ceux qui se présentaient devant lui en soignant leur fausse apparence de sainteté extérieure, seulement pour être vus et admirés. Des scribes et pharisiens, il y en a aujourd’hui.

Nos incohérences font trop de mal à l’évangile, à l’Eglise. Combien de gens nous éloignons de Dieu à cause de notre apparence très sûre, nos jugements sévères, nos regards durs. Nos voisins, nos collègues, nos cousins, frères et sœurs savent que nous sommes cathos, nous sommes reconnus comme tels, mais nous faisons une très mauvaise publicité à Dieu parce que nous sommes insupportables et sans pitié envers les autres. Nous respectons en apparence les préceptes, les lois, la doctrine de Dieu et de l’Eglise, parfois nous sommes plus catholiques que le pape dans nos paroles et rappel à l’ordre… et nous oublions que nous sommes devenus ennemis de Dieu par cette rude et difficile vie que nous rendons aux autres, au travail, dans le quartier parce que nous sommes sans amour avec nos voisins, nos frères et sœurs. Je ne veux blesser personne parce que je ne pense à personne concrètement sauf à moi ! Nous portons des croix tellement visibles, nous allons à la messe, faisons des neuvaines…et pourtant nous vivons en ennemis de la croix du Christ qui, par amour pour nous, a porté la croix et y a donné sa vie pour nous.

Être prêtre, diacre, prêcher la parole de Dieu, aller à la messe, porter le clergyman ou la soutane, la croix, faire des neuvaines, réciter le chapelet, chanter pour le Seigneur… tout cela est beau et bon et je vous le recommande fortement. Mais si nous le faisons, Jésus nous appelle aujourd’hui la cohérence et abandonner toute hypocrisie. Le pape François dit souvent qu’il préfère certains athées à certains chrétiens qui se comportent en ennemis de Dieu dans leurs paroles et comportements.

La tentation de l’orgueil et de l’hypocrisie est toujours là, devant moi, devant toi ! Elle nous rend un peu narcissiques pour admirer les dons et talents reçus de Dieu comme si cela ne dépendait que de nous. Saint Paul nous rappelle que même le bien que nous faisons, c’est la grâce de Dieu qui nous le permet et que nous ne devons pas en tirer orgueil. Alors, rendons grâce à Dieu pour tel don spirituel, tel talent : il nous permet d’aimer la prière, d’aller à la messe, d’avoir telle dévotion pour les saints, pour la sainte Vierge, de faire des retraites ou des pèlerinages, de nous nourrir de la Parole de Dieu au quotidien. Cela fait que nos frères et sœurs, nos enfants, nos parents nous regardent avec admiration et enthousiasme !

Mais c’est là aussi que le Malin s’incruste de manière sournoise pour nourrir notre orgueil, notre narcissisme en faisant naître l’hypocrisie et ce culte de soi que Jésus dénonce dans l’évangile. Ce qui nous fait vivre et agir désormais dans le seul but de soigner notre petite image lisse, pour apparaître saint ou sainte extérieurement alors que notre cœur est sans amour pour nos frères et loin de Dieu. Jésus nous rappelle que ceux qui font le bien seulement par pure hypocrisie ont déjà leur récompense ici-bas :

« Ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer. Sinon, il n’y a pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense… Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites : ils aiment à se tenir debout dans les synagogues et aux carrefours pour bien se montrer aux hommes quand ils prient. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense…» Ce sont là les mises en garde de chaque début de carême, et qui rejoignent l’évangile de ce dimanche.

Demandons-nous si le moteur de notre comportement n’est pas ce désir d’être admiré, que nous confondons avec notre désir d’être aimé. Le père Michel Dagras, quelques jours avant sa mort, m’avait dit : « Joseph tu sais, Dieu est vraiment notre ami parce qu’il nous connaît très bien et nous aime quand même !» Dieu ne nous admire pas mais nous aime, contrairement à ceux qui nous admirent à cause de notre hypocrisie, parlent bien de nous en notre présence mais au fond, ne nous supportent plus. Dieu nous aime, nous connaît tels que nous sommes, avec nos qualités, nos défauts et nos travers que nous sommes capables de cacher à tous, mais pas à lui. Nous sommes aimés de Dieu d’un amour qui ne juge pas et qui nous laisse le temps de nous convertir.

Demandons-nous honnêtement si notre comportement n’a pas comme moteur le désir d’être admiré, reconnu. Posons un regard de vérité sur notre propre vie pour nous convertir car la finalité de cet évangile est de nous rendre meilleur. Alors, s’il nous arrive d’attacher, d’imposer de pesants fardeaux aux autres, si nous chargeons les épaules des autres alors que nous ne voulons pas les remuer du doigt, par nos exigences, nos manipulations, nos chantages…cet évangile est un cadeau pour nous. Si tu m’aimes, tu dois faire ceci ! Je suis ton père, ta mère, donc du dois faire ceci. Si tu veux vraiment collaborer, tu devrais faire ceci…. Je suis bénévole et je prends de mon temps pour servir la communauté… donc je dois faire les choses comme je l’entends sinon je laisse tomber.

Ce sont-là des manières subtiles de manipuler, de contrôler les autres, de rester maître ! Tu veux faire les choses seulement quand tu es au premier plan, tu ne peux pas agir si tu n’es pas en première responsabilité, tu t’engages avec les autres seulement pour être vu…! Il est temps de quitter cette hypocrisie que Jésus dénonce pour chacun de nous, pour moi dans ma mission de curé, pour chacun de nous, dans nos missions ecclésiales, dans nos relations professionnelles, amicales, familiales. Demandons au Christ de nous donner sa lumière, nous guérir de toute hypocrisie pour être réellement ses témoins. Amen.