Homélie du Père Joseph du XXVI° Dimanche du Temps Ordinaire, année C (2022)
Mes chers frères et sœurs !
Depuis trois dimanches au moins, la Parole de Dieu nousparle de la richesse, celle qui passe et celle qui demeure. Le 11 septembre, pour la rentrée paroissiale au Phare, c’était le fils prodigue qui demandait sa part d’héritage et qui est allé tout dilapider dans une vie de plaisir. Dimanche dernier, Jésus nous invitait à nous faire des amis avec l’argent malhonnête, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles ! » Aujourd’hui, c’est un homme opulent qui nous est présenté. Ce dernier n’a rien compris au message de dimanche dernier. Nous contemplons Lazare et l’homme riche, comparable àl’alarmante contradiction de nos sociétés et du système économique actuel qui voit le nombre des millionnaires et milliardaires augmenter. Mais on voit aussi accroitre le fosséentre riches et pauvres avec une honteuse augmentation des millions de personnes vivant en dessous du seuil de pauvretésans que cela interroge le système économique.
Dès le sein maternel, Dieu nous appelle et nous reconnait personnellement. Il nous reconnait au milieu des milliards des personnes sur la terre et appelle chacun de nous par son prénom, signe de notre identité. L’Evangile ne nous donne que le nom d’un seul des protagonistes. Il s’appelle Lazare queDieu connait et dont il reconnait sa souffrance. L’homme richelui n’a pas de nom mais l’évangile nous le décrit par ce qu’il possède et par sa vie opulente : « Il y avait un homme riche, vêtu de pourpre et de lin fin, qui faisait chaque jour des festins somptueux. Devant son portail gisait un pauvre nommé Lazare ». Il n’est pas décrit comme méchant. Il est simplement absorbé par ses affaires et sa richesse au point de ne pas se rendre compte du pauvre qui mourait de faim sous sa table.
Dieu ne connaît pas cet homme riche parce que ce dernier se suffit à lui-même, n’a besoin de personne, et surtout il n’a pas besoin de Dieu. Apparemment, il n’a aucun problème religieux. Il est indifférent et a bien barricadé sa conscience pour ne pas ressentir des remords. Dieu respecte même ladistance que l’homme riche a établie. Le cœur cette parabole n’est pas la vengeance de Dieu qui renverse la situation entre le riche et Lazare. Le cœur, le mot clef pour comprendre cette parabole est l’abime.
Il y a un abîme impossible à colmater entre le riche et le pauvre ! La vie du riche, non pas condamné parce qu’il est riche, mais parce qu’il est indifférent, est entièrement résumée dans cette terrible image : l’abîme de sa vie. Il est probablement un juif pratiquant, comme ceux que le prophète Amos décrit dans la première lecture, ces puissantsdont parle le prophète Amos dans la première lecture et qui sont insensible aux souffrances des autres : « Malheur à ceux qui vivent bien tranquilles dans Sion, et à ceux qui se croient en sécurité sur la montagne de Samarie. Couchés sur des lits d’ivoire, vautrés sur leurs divans, ils mangent les agneaux du troupeau, les veaux les plus tendres de l’étable ; ils improvisent au son de la harpe, ils inventent, comme David, des instruments de musique ; ils boivent le vin à même les amphores, ils se frottent avec des parfums de luxe, mais ils ne se tourmentent guère du désastre d’Israël ! » De même, le riche de l’évangile ne voit tout simplement pas le pauvre mourant à ses pieds. L’abîme est dans son cœur et sespréoccupations mondaines.
Le riche pèche par omission. Nous demandons pardon au début de la messe : « J’ai péché en parole, en pensée, par action, et par omission ». Omission signifie ne pas faire ce qu’on devait faire. Cet abime décrit le cœur de celui qui pense être suffisamment bon, pieux, normal par rapport au monde extérieur qui est mauvais et corrompu. C’est l’attitude de celui qui sait qu’il n’est certes pas le meilleur des chrétiens, mais qui est aussi certain au fond de son cœur qu’il n’est pas pire que tous ces criminels dont parlent les médias, et qui se donne ainsi bonne conscience pour ne rien faire devant la souffrance des autres. En écoutant mes propos, vous pouvez me faire l’objection logique et naturelle du « que puis-je faire devant l’immensité de la pauvreté de nos jours ! »Devant la tragique question de l’immigration, nous pouvonsaussi naturellement dire aussi « que la France ne peut pas accueillir toutes les misères du monde », et ça se comprend naturellement.
Devant la souffrance des autres, je ne peux pas me réfugier dans ma chaleureuse et intime relation avec Dieu. Si ma foi, transformée en dévotion personnelle ne se transforme pas en service, en engagement, la foi reste stérile. Là où nous vivons, Dieu nous appelle à croire et à aimerconcrètement. Saint Jacques nous dit : « montre-moi ta foi qui n’agit pas ! Moi, c’est par mes actes que je te montrerai ma foi ! ». Rappelons des paroles du Seigneur quand il dit : « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ! et chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, à moi non plus vous ne l’avez pas fait ! » (Mt 25). Dans la vie personnelle, familiale, professionnelle, ecclésiale, Dieu nous demande de manifester notre amour et notre foi concrètement. Saint Jean nous invite à ne pas aimer seulement en paroles, mais par des actes et en vérité. Une foi qui se contente seulement de la messe, de la prière ou de l’appartenance à un mouvement spirituel, mais qui n’agit pas concrètement, qui ne s’engage pas de manière prophétique pour transformer notre monde en le rendant meilleur, cette foi qui n’agit pas est en fin de vie car elle meure à petit feu sans s’en rendre compte !
Un autre élément que j’aimerais souligner dans la parole de Dieu est la compassion ! Avant de nous engager, une première étape est nécessaire : la compassion ! On ne peut venir en aide à quelqu’un que dans la mesure où nous nous sommes d’abord laissés touchés, dans nos tripes, dans notre cœur par sa souffrance, comme le bon samaritain qui est pris de compassion. Nous avons chacun un cœur et Dieu nous invite à l’ouvrir, à se laisser toucher par la joie des autres pour nous réjouir avec eux, et par la souffrance des autres pour pleurer avec eux ! Une préface eucharistique dit que par pitié pour notre misère, Dieu s’est fait l’un de nous dans le corps d’une femme pour nous sauver !
Notre monde vit un déficit de compassion. Nous ne savons plus compatir, et sans cesse, même les psychologues nous disent que nous devons nous « protéger » ! Evidemment qu’il faut se protéger du mal et du Malin, de tout ce qui peut nous abimer, nous détruire. Mais nous ne pouvons pas nous protéger notre cœur pour l’empêcher de faire du bien. Un chrétien ne peut barricader ni blinder son cœur aux autres ! Le prophète Ezéchiel nous appelle à permettre à Dieu d’arracher notre cœur de pierre, insensible, pour nous donner un cœur de chair qui se laisse toucher, qui sait être affecté par la joie et la peine des autres. Nous sommes devenus des femmes et hommes trop cérébraux, très logiques et cartésiens au point d’oublier parfois que nous avons aussi un cœur capable d’aimer, de rire et de pleurer. C’est parce que le cœur de l’homme riche de l’évangile est fermé que ses yeux, ses mains et ses oreilles sont aussi fermés au point de ne plus voir ni entendre la souffrance du pauvre Lazare assis près de lui.
Seigneur, ouvre notre cœur, ouvre nos yeux, nos oreilles, nos mains aux joies et aux peines qui nous entourent. Amen.